C'était De Gaulle - Tome I
la nature des choses.
« Ce sont les Américains qui sont neutralistes ! »
AP. — Les Anglais essaient de faire croire que nous allons renverser les alliances.
GdG. — Ils essaient de faire croire que nous allons nous entendre avec les Russes contre les Américains. Il arrive souvent que l'on accuse les autres de ce qu'on pense faire soi-même. Si quelqu'un est tenté de pactiser avec Moscou, ce sont bien les Anglais et les Américains. Ils l'ont déjà montré chaque fois qu'il y a eu des difficultés. Quand les Russes veulent mettre la main sur Berlin 2 , ce ne sont pas les Anglais et les Américains qui s'y opposent. C'est de Gaulle.
« Si le pacte franco-allemand marquait un renversement des alliances, comment expliquer la fureur des Russes ? Vinogradov m'apporte une note au picrate. Faut-il imaginer que c'est nous qui avons demandé aux Russes de nous envoyer cette note ?
« Tout cela ne tient pas debout. La propagande anglaise est risible à force d'en faire trop. Ça se retourne contre elle. Elle y perd tout crédit.
AP. — On vous reproche, notamment aux États-Unis, de vouloir créer une " troisième force " neutraliste.
GdG. — Neutraliste ! Neutraliste ! Ce sont les Américains qui sont neutralistes ! Ils l'ont toujours été. En 1914, il a fallu attendre trois ans, et leurs paquebots coulés par les sous-marins allemands, pour qu'ils finissent par entrer en guerre. En 1939, ils ont refait le même coup. Il a fallu Pearl Harbour pour qu'ils se décident. Et qu'est-ce qui nous dit que, dans dix ou vingt ans, ça ne serait pas la même chose ? Les Américains, croyez-moi, ne pensent qu'à une chose : aux intérêts, à la prospérité, à la grandeur de l'Amérique ; et à économiser le sang des boys. Remarquez, je ne le leur reproche pas, j'ai les mêmes soucis pour la France. Mais qu'ils n'essaient pas de nous faire croire autre chose.
« On ne peut pas faire une politique en se préoccupant uniquement d'éviter de faire de la peine »
AP. — Les Américains, eux, considèrent que nous, Européens, aussi bien en 1914 qu'en 1939, avons fait montre de notre aveuglement, de notre absence de stratégie, de notre manque de bon sens. C'est pourquoi ils sont sortis aujourd'hui de leur isolationnisme et ont pris les affaires en main.
GdG. — C'est bien ce que je dis. Leur optique n'est pas la nôtre. Ce ne sont pas les intérêts de l'Europe qui les tracassent.
« Ou plutôt, ils ne s'occupent des intérêts de l'Europe que dans la mesure où ces intérêts coïncident avec les leurs. Il est évident qu'après 1945, la seule manière qu'avait l'Amérique de se défendre des Russes, était de leur faire barrage en Europe, et d'appliquer la politique de Yalta. Une partie du monde était abandonnée aux Soviets, l'autre partie abandonnée aux Américains. Les Américains embrigadaient tout le monde pour contenir le colosse soviétique, de manière qu'il ne sorte pas des limites qui lui avaient été assignées à Yalta.
« Mais cela, c'est l'intérêt des Américains. Ce n'est pas l'intérêt des Européens. Ce sera sans doute de moins en moins l'intérêt des Européens. Il faut que les Européens en prennent conscience. Il faut aussi que les Américains l'admettent.
« Tant pis si ça leur fait de la peine. On ne peut pas faire une politique en se préoccupant d'éviter de faire de la peine aux gens. C'était bien la politique de la IV e République que de ne jamais vouloir faire de la peine à personne. "Nous serons gentils avec vous, alors soyez gentils avec nous !" On s'imaginait qu'on pouvait tenir tête à des colosses en les amadouant. Mais on ne fait pas de politique en amadouant les gens. La politique n'est pas une affaire pour enfants de chœur. La politique est une affaire d'intérêts. C'est un rapport de forces. Il faut parler haut et ferme si l'on veut faire respecter son point de vue. Sinon, on est toujours couillonné.
« Dans vingt ans, l'Europe doit être aussi puissante que les Etats-Unis »
« Quant au neutralisme dont les Américains nous accusent, il faut bien qu'ils se rendent compte qu'en réalité, c'est nous qui devrions les en accuser aujourd'hui. Ils sont en train de s'entendre avec les Russes sur notre dos et sur le dos de l' Allemagne. C'est l'Europe qui fera les frais de la combinaison. De même que l'Europe a fait les frais de la combinaison à Yalta.C'est le même processus qui recommence. Les deux colosses s'entendent entre eux. L'Angleterre fait l'honnête
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