C'était De Gaulle - Tome I
Nassau : "Nous n'avons plus besoin d'une arme atomique, nous nous reposons entièrement sur les États-Unis." »
« Ça fait la rue Michel »
Après le Conseil, le Général me dit son intention de parler au pays, sans que je sois encore autorisé à l'annoncer :
« Il y a un sujet sur lequel je suis décidé à parler : il faudra bien montrer que deux mois après l'accord des Bahamas, il n'en resteplus rien, que tout ça était des faux-semblants et que tout le monde est bien obligé de le reconnaître aujourd'hui. Et puis, il faut que je montre aussi que le Marché commun continue et que, grâce à la décision qui a été prise de ne pas y faire entrer les Anglais, il a une belle carrière devant lui, alors qu'elle se serait arrêtée aussitôt.
« Je prendrai l'opinion à témoin que j'avais raison. Bien sûr, je ne le dirai pas comme ça. Mais avec bonhomie, je tirerai les leçons de ces quarante jours d'éructations à mon égard, dont il ne reste maintenant plus rien que le ridicule de tous ceux qui s'y sont livrés, en Angleterre, en Amérique, chez nos partenaires européens et naturellement en France.
« Au bout d'un mois, la force multilatérale américaine, personne n'y croit plus ; ça fait la rue Michel. L'entrée de l'Angleterre dans le Marché commun, ça fait la rue Michel. »
(Cette expression bizarre, si l'on en croit le Robert, est un idiotisme populaire parisien signifiant, par calembour : ça fait le compte, à cause de la rue Michel-Lecomte ; ça fera l'affaire. Je ne suis pas sûr que le Général l'utilise dans ce sens. Le contexte suggère toujours qu'il veut dire : « Ça fait chou blanc.» Est-ce une impropriété volontaire ou involontaire ? Il ne résiste pas au plaisir d'user d'une expression colorée, même s'il la détourne de son sens 4 .)
« Notre monopole d'État n'est-il pas contradictoire avec le traité de Rome ? »
Au Conseil du 27 février 1963, Bokanowski présente dix décrets concernant des « autorisations spéciales d'importation de pétrole brut ». Pompidou, avec sa clarté habituelle, dégage le sens de ces dix décrets, auxquels personne n'avait rien compris.
Pompidou : « Ces décrets stabilisent les compagnies étrangères (BP, Esso, Shell, Mobiloil, etc.) à leurs quantités actuelles. Toute la capacité d'augmentation est réservée aux sociétés françaises, notamment à l'Union générale des pétroles, société d'État qui a découvert le pétrole saharien. Ça fera du bruit du côté des grands trusts étrangers, qui, sans perdre leurs acquis, ne participeront pas à la croissance dans les dix ans à venir. Leur niveau est bloqué. Au contraire, l'UGP, qui compte pour à peu près 5 % de la production nationale actuelle du pétrole raffiné, passera à 15 % et réduira d'autant les parts de marché détenues par l'étranger. »
À la stupeur générale, de Gaulle prend le parti de nos partenaires du Marché commun, contre le point de vue très national qu'a imposé Guillaumat 5 :
«Le traité de Rome comporte des dispositions transitoires jusqu'à 1970, qui permettent de faire ce qu'on veut ; mais, à partir de cette date, comme on sera complètement dans le Marché commun, il ne sera plus possible de procéder à des discriminations qui reviennent à confirmer et à accroître un monopole d'État. Les dispositions que nous sommes en train de prendre jusqu'en 1975 ne sont-elles pas contradictoires avec le traité de Rome ?
Bokanowski. — Notre dossier est solide.
Couve (qui a dû alerter le Général). — Je tiens à dire que la question n'a pas été étudiée. Il faut éviter de se mettre dans son tort. La publication de ces décrets ne manquera pas de soulever des remous dans les trusts anglais et américains, qui auront leurs échos à Bruxelles. On dénoncera un monopole d'importation de l'État français qui est contraire à l'esprit et à la lettre du traité de Rome.
GdG. — Ne suffit-il pas de mettre : " sous réserve des dispositions qui seront prises à la fin de la période transitoire par la Communauté économique européenne" ?
Pompidou. — Il vaudrait mieux faire cette réserve dans un "chapeau" 6 . La position des Allemands, notamment d'Erhard, est d'aller vers un libéralisme beaucoup plus grand. Mais un jour viendra où ils sentiront eux-mêmes la nécessité d'une législation protectionniste, faute de quoi les trusts américains mettraient la main sur les approvisionnements européens en pétrole. Dans quelques
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