C'était De Gaulle - Tome I
qu'on donne à d'autres ? On manquerait de confiance envers la France ? Les Américains ne l'invoquent pas contre les Anglais, mais contre nous ! Pouvons-nous l'admettre ?
« Les Américains nous refusent même des secrets dont ont bénéficié les Russes ! Je suis sûr qu'ils ont livré des secrets à Moscou, que ce soit par espionnage ou peut-être même par conversations secrètes : leurs experts se voient entre eux. On veut nous exclure, nous alliés, d'une confidentialité à laquelle ont part les adversaires !
AP. — Le plus important, ce n'est pas que les Américains veuillent être seuls à détenir les secrets de fabrication, c'est qu'ils veuillent être seuls à décider de l'emploi.
GdG. — Bien sûr ! Selon eux, il faut d'avance décider de l'emploi et il n'y a plus, ensuite, qu'un problème d'exécution. La décision politique n'est plus à prendre. On évite ainsi des changements de position politique, au cas d'une crise où certains alliés tourneraient casaque, comme les Saxons à Leipzig 7 . Ils prétendent qu'il faut une unité de commandement pour assurer la rapditéde la réplique. On ne peut pas se réunir à Quinze pour prendre une décision 8 . Il faut le faire à l'avance. Techniquement, cet argument n'est pas sans valeur. Mais ça veut dire que nous sommes complètement rejetés de la décision.
AP. — En quoi cette force sera-t-elle multilatérale ?
GdG. — Les Américains veulent tout garder pour eux en faisant croire qu'ils nous associent à la décision et à l'emploi, alors qu'ils ne nous associeront à rien du tout.
« Ce n'est pas que je méfie spécialement de Kennedy, bien qu'il soit un peu prisonnier de son administration et du Pentagone. Je ne le soupçonne pas vraiment lui-même. Il n'est pas sans courage. (Le Général a un faible pour Kennedy. Peut-être son origine irlandaise et sa confession catholique n'y sont-elles pas pour rien, ainsi que l'origine française de sa femme.) Mais on ne sait pas qui sera Président demain.
« Nous avons pris le parti de l'alliance ; nous ne pouvons pas prendre celui du protectorat. Certes, le Maroc était défendu par la France. Kettani 9 était général de l'armée intégrée. La France serait aux États-Unis ce que le Maroc était à la France. Eisenhower a été notre Lyautey. Et Lemnitzer 10 serait notre Noguès 11 ! (Rire.)
« Le fond de l'affaire, c'est qu'il faudrait organiser une force européenne. Compte tenu des conditions techniques et du cas des Allemands et des Italiens, elle doit être à base franco-anglaise. L'affaire des Bahamas était un banc d'essai de la volonté britannique (le Général ne dit pas "test"). Ou bien ils choisissaient l'Europe, ou bien ils choisissaient l'Amérique. Ils ont choisi l'Amérique, ce qui les écarte de l'Europe.
« Les Américains nous ont imposé l'Europe à Six ; ils n'en veulent plus. Jusqu'en 58, ils voulaient que l'Europe soit serrée et drue. Maintenant, ils craignent qu'elle ne devienne leur rivale économique et peut-être politique. Ils refusent de partager leur prépondérance. Ils aimaient l'Europe quand elle leur fournissait des pays satellites ; quand elle devient forte, ils n'en veulent plus. »
« L'impassibilité de la France est très efficace »
Au Conseil du 6 février 1963, Couve :
« La Grande-Bretagne est en plein désarroi, parce qu'elle n'a pas de politique de rechange. Les États-Unis passent à l'attaque. Ils stigmatisent les prétentions françaises à l'hégémonie en Europe. Ils veulent interpréter la rupture avec l'Angleterre comme une réplique à l'accord de Nassau.
« Au Conseil permanent de l'OTAN, tout le monde se précipite pour dire que ce projet de force multilatérale est une idée admirable. Les Allemands et les Italiens rivalisent de zèle. Mais quand nos partenaires finiront par comprendre qu'il s'agit de verser des milliards pour acheter en commun des fusées Polaris dépourvues de tête atomique, leur zèle se refroidira peut-être !
« En attendant, le Marché commun continue. Aucun des Six n'a manifesté l'intention de s'en retirer. Pendant les premiers jours, les Hollandais ont affiché une volonté de boycott. Ils ont demandé l'annulation de toutes les réunions à Six prévues. Puis les choses se sont calmées. Les réunions se tiendront.
« Mais la plus grande difficulté, c'est la situation politique intérieure en Allemagne, qui fait peser une lourde incertitude.
GdG (enchaîne). — Le Premier ministre a dit hier ce
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