C'était De Gaulle - Tome I
observe un glissement de Ben Bella vers la surenchère. S'il y résistait, Khider viendrait l'attaquer au détriment du patrimoine français et du pétrole.
Missoffe. — Il faut s'attendre à recevoir 100000 rapatriés de plus, qui étaient retournés en Algérie cet hiver.
Triboulet. — Expliquons-leur qu'en Afrique et à Madagascar, des sociétés d'économie mixte ont racheté des biens de colons. Les nouveaux exploitants remboursent peu à peu et tout se fait dans l'ordre.
GdG. — Si les Algériens s'y prennent brutalement, ils ne trouveront plus, à l'avenir, que des techniciens des pays communistes.
Frey. — Il y a de l'agitation dans le Midi contre l'importation de vins algériens. Il faudrait en réduire la quantité.
Broglie. — Mais ça frapperait des Français restés en Algérie !
GdG. — Comme la coopération serait facile, si nous n'avions pas de Français en Algérie ! (C'est dit sur le ton d'une boutade amère, mais elle dévoile qu'il a finalement pris son parti du rapatriementmassif des pieds-noirs.) S'il n'y avait pas de vins d'Algérie, est-ce qu'on arriverait à faire boire le vin de l'Hérault sans coupage ?
Pisani. — L'habitude a été prise de boire un vin de degré élevé. Sept à dix millions d'hectolitres de vin d'Algérie sont indispensables.
Pompidou (irrité par ces interventions à tout va). — Le ministre des Finances voudrait une rétorsion dans le domaine de l'argent, le ministre de l'Agriculture dans le domaine des vins, le ministre de l'Intérieur voudrait calmer l'Hérault, le ministre du Travail voudrait arrêter l'importation de la main-d'œuvre. Il faut voir la question sous un angle plus élevé, celui des rapports de la France et de l'Algérie. Côté travailleurs, ils arrivent tous avec des contrats et sont toujours embauchés.
GdG. — Ce sont de vrais ou de faux contrats ?
Pompidou. — De vrais contrats, surtout pour des entreprises de travaux publics. Nous pouvons toujours faire la grève du zèle, que le ministère des Finances sait si bien faire en envoyant des mandats avec six mois de retard ; procéder à des examens sanitaires, discuter des pièces d'identité, etc. Nous introduirons une gêne, qui sera notre principale pression. Ben Bella court après ce Khider. C'est mauvais signe : il semble en train de perdre la bataille avec son parti. Il faut donc s'attendre à une tension plus forte. Nous devons marquer un coup d'arrêt. Mais il faut choisir un meilleur terrain que le cas Borgeaud. »
« Ça tiendra, tant que leur armée le voudra »
Avant le Conseil du 17 avril 1963, Pompidou me glisse à l'oreille : « Vous savez que Ben Bella demande la révision des accords sur les sites militaires ? Nous faisons la sourde oreille. N'en parlez pas. D'ailleurs, on n'en dira rien au Conseil.»
Joxe 4 , qui ne craint décidément pas de se faire rappeler à l'ordre comme n'étant plus compétent pour l'Algérie, donne des renseignements alarmistes : « Discussions orageuses au Caire ; attentat dans un train ; décomposition politique de l'Algérie ; rivalité de Ben Bella et du bureau politique du FLN. Ben Bella cherche à créer un mythe révolutionnaire autour de sa personne. Mais aussi, devant ces convulsions, la bourgeoisie pourrait provoquer un mouvement de type thermidorien. Situation fluide.
GdG. — Ils ne travaillent pas. Ils ne s'occupent pas sérieusement de l'agriculture, ni des travaux publics. Ils bavassent. Le pays s'orientalise.
Broglie. — On va vers une crise économique, doublée du départ des derniers Français d'Algérie.
Triboulet. — Les Algériens n'ont ni les capitaux, ni les hommes pour appliquer le dixième de ce que prévoit leur plan ! Ils vont à une catastrophe évidente ! »
Le Général, après le Conseil, me précise :
« Voici la ligne générale que nous allons suivre. Des atteintes ont été portées aux accords d' Évian. Mais il ne faut pas les prendre comme prétextes pour une remise en cause générale des accords. Ne pas donner aux Algériens des prétextes de revenir sur les clauses militaires. Les accords d'Évian datent d'un an. Ils ont reçu l'approbation solennelle des deux pays par voie de référendum. Ils demeurent la loi des parties. Nous sommes décidés à nous y tenir, dans l'esprit où nous les avons signés.
« Mais, dans l'application, il faut une certaine souplesse. Nous sommes d'accord pour faire la part du feu, dans un esprit de coopération. Nous reconnaissons qu'il appartient au
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