C'était De Gaulle - Tome I
gouvernement algérien de donner à son pays le régime économique et social de son choix. Il faut bien voir, pourtant, que ce choix s'effectue au détriment des intérêts français. Nous demandons qu'on ait des égards pour la France et pour les Français.
« Ben Bella pourra-t-il tenir ou pas ? Il ne manque pas d'adresse. Il a rebouché le trou. Il cumule tous les pouvoirs, mais aussi tous les adversaires. Boumediene 5 l'appuie pour le moment. Combien de temps ça durera ? Tout repose sur l'armée, dans ces pays-là. Ça tiendra, tant que leur armée le voudra. »
« Unifier l'Algérie et l'Égypte, c'est du vent »
Dans le train entre les Ardennes et la Champagne, 24 avril 1963.
AP : « Est-ce que Ben Bella évolue vers une dictature de type nassérien ? Attribuez-vous de l'importance au prochain voyage de Nasser ?
GdG. — L'Algérie ne sait pas très bien où elle va. Ben Bella sans doute non plus. Il est obligé de louvoyer, de faire semblant. Il tend la main à Nasser, tout en nous donnant des assurances par en dessous. Il nous assure de sa bonne volonté, tout en prenant en public des attitudes violemment indépendantes. Tout ça, c'est de la logomachie. Ces gens sont en pleine IV e République. Ce sont des marionnettes qui viennent sur le devant de la scène, s'agitent, font des discours, puis s'en vont.
« Nasser voudrait tellement que l'Algérie soit la quatrième étoile de la République arabe unie 6 ! Mais ça ne pourrait pas tenir. Ni Bourguiba, ni le roi du Maroc ne sont prêts à accepter de disparaître, ni au profit d'un Maghreb à domination algérienne, ni au profit d'une République arabe unie sous la direction de Nasser. Et qu'est-ce que Nasser peut apporter à l'Algérie ? Rien ! De l'argent ? Des techniciens ? Il en a besoin lui-même. Comment ferait-il pour en donner aux autres ?
« Et puis, Nasser s'est lancé dans un projet qui est contre la nature des choses. On n'a jamais raison contre elle. L'Egypte a toujours eu son unité. De tout temps, la vallée du Nil a rassemblé l'Egypte. Au contraire, des pays comme le Liban, l'Irak ou la Syrie ont toujours été divisés. Les Druses se sont toujours disputés avec les Maronites, lesquels ne se sont jamais entendus avec les Alaouites. Ni, en Irak, les Sunnites avec les Chiites, ou avec les Kurdes. Ce sont des pays voués à la division, parce qu'ils comportent des peuplades tout à fait différentes, qui n'ont pas la même langue, le même culte, le même passé, et qui ne se supportent pas mutuellement. Vouloir les unifier sous un seul sceptre est une prétention surhumaine. Ces gens ne voudront jamais être gouvernés que par un des leurs. Là encore, c'est parler pour ne rien dire. Nasser fait semblant d'unir, mais l'unité n'a pas de réalité profonde. C'est du vent. »
Sur l' Algérie, le Général est ultra-sensible. Il réagit à la mesure de ses déceptions successives : celle de n'avoir pu faire mieux qu'Évian, celle de la fuite des pieds-noirs, celle d'une coopération mal engagée. Le plus souvent, il protège son équilibre en se durcissant ; mais comme il voudrait espérer ! Un moment, il a cru voir en Ben Bella un véritable chef, avec lequel on pourrait bâtir. Puis l'espoir est retombé. L'Algérie déstabilise le Général.
1 Les accords d'Évian prévoyaient le maintien de l'armée française pendant cinq ans au Sahara, pour les expériences atomiques et spatiales, et sur les aérodromes de Colomb-Béchar, de Reggane et d'Im-Anguel ; ainsi qu'à Mers-el-Kébir, pour quinze ans renouvelables.
2 Djinn, esprit malin ou oiseau de malheur dans les croyances arabes, illustré par le célèbre poème de Hugo.
3 Ministre de l'Économie du gouvernement algérien.
4 Il est devenu ministre d'État, chargé des Réformes administratives.
5 Ministre de la Défense.
6 L'union de l'Égypte et de la Syrie a été décidée par Nasser en juillet 1958. L'Irak vient de s'y rallier en avril 1963. Mais, après l'échec d'une tentative de putsch nassérien, ce qui a pour effet d'éliminer ses partisans à Damas, Nasser renoncera à son idée de République arabe unie en juillet 1963.
Chapitre 19
« LE ROI DU MAROC VOUS A FAIT SON NUMÉRO DE JALOUSIE À L'ÉGARD DE L'ALGÉRIE ? »
Au Conseil du 6 juin 1962, Couve rend compte de la visite du roi Hassan II et des conversations qui ont eu lieu au château de Champs 1 :
« Le roi Hassan II a posé la question de l'aide économique de la France au Maroc sous trois aspects. Les
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