C'était De Gaulle - Tome I
insulte dans sa gorge et dans celle de tous les sénateurs. »
Dans leur conflit commun avec Monnerville, point une divergence entre le Général et lui.
Tous deux s'accordent à penser qu' « il faut sanctionner Monnerville ». Mais Pompidou le croit seulement nécessaire parce que Monnerville a offensé le Président de la République et le Premier ministre ; « laisser passer l'insulte sans réagir serait en reconnaître le bien-fondé ». Le Général, en plus et surtout, veut régler un problème de fond : « Le Sénat est devenu inutile tel qu'il est. Il faut donc le supprimer.» Pompidou estime, puisque cette institution existe, qu'on peut bien « faire avec », tout en reconnaissant qu'on pourrait s'en passer. «Pour soigner les bobos, me dit-il, le Général préfère la chirurgie. J'aime mieux l'homéopathie. »
« Le Sénat est un talon d'Achille »
Le 7 décembre 1962, dès le premier Conseil où je reprends mes fonctions de porte-parole, le Général m'indique : « Maintenant que la porte de l'article 11 1 a été ouverte et bien ouverte (j'ai pensé : plutôt enfoncée qu' ouverte ...), il faudra que nous nous en servions pour parfaire les institutions. Nous ne sommes pas là pour rester les deux pieds dans le même sabot. Nous sommes là pour avancer, et donc pour réformer. De Gaulle n'a pas été créé pour s'occuper du train-train. Il faut que je laisse derrière moi un État qui soit solide sur ses jambes. Le Sénat est un talon d'Achille. J'avais pensé à l'opérer plus tôt. Mais, cette année, avec la fin de la guerre d'Algérie et le référendum sur l'élection présidentielle, nous avons eu assez d'agitation comme ça. Laissons cicatriser un peu. Puis il faudra détruire ce Sénat, ou en tout cas le transformer, ce sera la première des choses à faire. »
Dans les mois et les années qui suivirent, il ne cessa de me répéter cette affirmation avec l'énergie de Caton martelant : Delenda est Carthago 2 . Ainsi, il avait à peine « complété les institutions pour assurer leur survie », qu'il se souciait déjà de les bouleverser encore. « Transformer, disait-il, c'est la loi de la vie. »
« Il faut faire courir le bruit que le Sénat va être supprimé »
Pompidou revient sur la question, en termes bien différents, le 9 décembre 1962 : « Le Sénat ne nous gêne pas vraiment, puisque l'Assemblée, où nous disposons d'une forte majorité, a le dernier mot. L'arsenal contre lui aux mains du gouvernement est écrasant. C'est seulement en cas de révision constitutionnelle qu'il avait, jusqu'en octobre, une capacité de blocage, si on avait dû obligatoirement passer par la voie parlementaire. Mais, maintenant que nous avons utilisé l'article 11 et que le peuple nous en a approuvés, nous pouvons modifier la Constitution, si besoin est, en court-circuitant le Sénat. Alors ? Pourquoi le supprimer ? Il suffit de faire comme s'il n'existait pas. Quieta non movere 3 .
AP. — Mais justement, le Général trouve que le Sénat n'est pas quietus. C'est à ses yeux un foyer purulent.
Pompidou. — Vous verrez, nous allons le faire mûrir doucement et le pus coulera de lui-même. »
Dans les mois qui ont suivi, Pompidou a mis d'autant plus de vigilance à battre froid au Sénat, qu'il sentait que le Général continuait à vouloir le faire disparaître. Cela était nécessaire pour éviter ceci.
Le 20 décembre 1962, Pompidou me prescrit : « Laissez donc filtrer que les rapports avec le Sénat s'amélioreraient dès lors que le Sénat liquiderait Monnerville. Les sénateurs sont rentrés trop rassurés. Il faut tenir personnellement Monnerville à bout de gaffe et faire courir le bruit que le Sénat va être supprimé si Monnerville ne s'en va pas. »
« Le Sénat me fait caca dans la main »
Au Conseil du 16 janvier 1963, Pompidou : « Je répète que les ministres ne doivent pas aller au Sénat. Les deux secrétaires d'État, M. Dumas et M. Boulin 4 , doivent seuls s'y rendre jusqu'à nouvel ordre. Les sénateurs ne peuvent pas, selon le règlement, se réunir sans une présence ministérielle, et ils ont le droit d'être instruits de la politique gouvernementale, mais on n'aaucun cadeau à leur faire. On n'accepte aucun amendement de leur part. Le gouvernement s'y oppose automatiquement ; et quand le texte revient à l'Assemblée, on fait sauter tout ce qu'a fait le Sénat. Le furoncle grossit. Nous attendrons qu'il crève.»
L'image du bobo à désinfecter prend de
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