C'était De Gaulle - Tome I
l'ampleur. Il faut, selon Pompidou, laisser faire la nature.
De Gaulle est aiguillonné par une déception sentimentale — que Pompidou n'a pas eu à éprouver. « Le Sénat, me dit le Général après le Conseil du 16 janvier 1963, c'est moi qui l'ai fait recréer en 1946 sous le nom de Conseil de la République, alors que les partis voulaient le supprimer purement et simplement. C'est encore moi qui l'ai rétabli en 1958 dans son nom et dans ses prérogatives, notamment constitutionnelles. Et aujourd'hui, il me fait caca dans la main. Il faudra le supprimer. »
Pompidou répète en Conseil, le 13 février 1963 : « C'est fini. On a été trop bon pour le Sénat. On n'acceptera plus aucun amendement de sa part ! »
Le Général se fait plus incisif au Conseil du 20 février 1963, pour la fin de la session extraordinaire : « Des banques ont agi auprès des sénateurs. Un texte a été remis par elles à l'un d'entre eux, à charge pour lui de le prendre à son compte, moyennant un joli pot-de-vin. Ce sont des interventions vénales. »
Pompidou vient en renfort : « Le projet de fiscalité immobilière 5 est un projet Debré. Certains sénateurs prétendent pourtant que c'est moi qui l'ai concocté en faveur de Rothschild. On prête aux autres la vénalité dont on est soi-même coutumier.
« J'irai à l'Assemblée à 18 heures pour une séance de pure forme, histoire de remercier l'Assemblée de son important effort. »
Il se tourne vers moi : « Il faut une caméra muette de la télévision. Ça ne vaut ni plus, ni moins. Naturellement, pas de caméra au Sénat, et pas de remerciements du gouvernement. Le Sénat reste au piquet. »
« Une quintessence de comités Théodule »
Au Salon doré, après le Conseil du 20 février, le Général me dit, comme allant de soi : « Le Sénat, c'est une quintessence de comités Théodule. » Comités Théodule ? Je n' ose pas lui demander ce que signifie cette expression excentrique, ni sil'image se réfère à un prénom démodé, ou au col qui relie la Suisse à l'Italie. Après coup, je me reproche ma discrétion : il est probable qu'il essayait cette formule devant moi et qu'il aurait aimé poursuivre sur ce thème en scrutant ma réaction 6 .
Le 20 mars 1963, je demande au Général si, comme l'indiquent certains journaux, il est décidé à annoncer bientôt la réforme du Sénat et du Conseil économique et social.
« Ce n'est pas encore d'actualité. C'est une chose lointaine, à laquelle nous travaillons. »
Il ne m'en dit pas plus. Mais je sais que deux dossiers sur la réforme projetée ont été déposés sur sa table : le premier, préparé par son conseiller juridique, Boitreaud ; le second, par Michel Debré, dont la fécondité est sans rivale : bien que retiré du gouvernement et tout en préparant son élection à la Réunion, il a continué fidèlement à pourvoir le Général en suggestions, sous forme de lettres et de notes.
Au Conseil du mardi 7 mai 1963, Pompidou adoucit la doctrine pour la nouvelle session en cours : « Les secrétaires d'État lisent des réponses techniques. (Il ne s'agit plus seulement de Dumas et Boulin, mais de n'importe quel secrétaire d'État.) Une proposition de loi d'origine sénatoriale ne doit avoir aucune suite. Le secrétaire d'État présent doit prendre une part sommaire au débat. En revanche, quand un projet de loi est d'origine gouvernementale, le ministre compétent peut y aller. »
Le général de Gaulle sursaute devant ces assouplissements, dont il n'avait visiblement pas été prévenu. Mais il ne veut pas contredire le Premier ministre pour une innovation qui est de son ressort : les relations avec le Parlement. Il objecte, avec beaucoup de retenue : « Vous croyez ? Les deux secrétaires d'État préposés, ça me paraissait bien suffisant, et les autres secrétaires d'État, un grand maximum.
Pompidou. — En aucun cas un ministre n'ira, si ce n'est pour un projet de loi qu'il présente lui-même. » (Mais comme presque toutes les lois sont des projets d'initiative gouvernementale, autant dire que la quarantaine du Sénat est levée.)
Dumas a l'idée de répondre à l'objection du Général, alors que Pompidou l'avait déjà enjambée. À mesure qu'il parle, Pompidou donne des signes de contrariété.
Dumas : « Si les ministres n'étaient pas autorisés à se rendre au Sénat, c'est moi qui y serais toujours, ce qui m'amènerait à négliger l'Assemblée nationale ! Ça éveillerait
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