C'était De Gaulle - Tome I
l'attention.
GdG (sautant sur l'équivoque pour taquiner Dumas). — Que voulez-vous dire ? Que les députés sont plus attentifs quand c'est vous qui êtes présent, que quand ce sont vos collègues ?
Dumas. — Non, mais j'ai peur de lasser l'attention des sénateurs.
GdG. — Mais c'est précisément le but à atteindre ! » (Rires autour de la table.)
Pompidou se détend. Le Général a laissé évaporer son irritation dans un échange de plaisanteries.
« Le Sénat tel qu'il est ne peut plus exister que pour embêter le monde »
Au Salon doré, après le Conseil, je lui demande : « Dans votre dernière allocution, vous avez fait l'éloge du Conseil économique et social. Vous faisiez allusion à la disparition ou à la réorganisation du Sénat ?
GdG. — Reprenez donc mon discours de Bayeux. J'ai tout dit sur la Constitution, dans ce discours. Tout ce qui y était dit correspond aux nécessités du pays. C'est ce que nous avons commencé à faire, en gros, depuis 1958.
« J'avais, à ce moment-là, préconisé la création d'une Assemblée nationale, seule assemblée politique en face du Président de la République et du gouvernement ; puis une autre assemblée, que j'appelais Grand Conseil de la République, était une assemblée consultative, représentant les intérêts administratifs, économiques et d'outre-mer. Cette seconde assemblée devait comporter trois sections : l'une aurait représenté les collectivités locales, à la manière de l'actuel Sénat ; une autre les intérêts économiques et les professions ; une troisième l'Union française. Les constituants de 1946, parce qu'ils savaient qu'ils ne pouvaient pas aller complètement contre moi, ont repris le nom de Conseil de la République et en ont affublé le Sénat ; et ils ont créé trois assemblées, correspondant à ces trois idées de sections. Ça a été le Conseil de la République, le Conseil économique et social et l'Assemblée de l'Union française. Alors que j'avais estimé nécessaire de les mettre tous dans une seule assemblée, qui aurait été consultative, car elle ne pouvait pas être autre chose.
« Il faut, à l'avenir, qu'il y ait une seule assemblée législative et politique. Autrefois, sous la III e République, le Sénat était nécessaire comme contrepoids aux sottises de l'Assemblée nationale. Mais maintenant, le contrepoids à ces sottises, c'est le Président. Et s'il y a des difficultés majeures, l'Assemblée peut censurer le gouvernement, le Président de la République peut dissoudre l'Assemblée, c'est le suffrage universel qui tranche.
« Donc, le Sénat, tel qu'il est, n'a plus aucune raison d'être. Il ne peut plus exister que pour embêter le monde. Il ne s'en prive pas. Un référendum y remédiera.
« Les notables inamovibles, les notoires abusifs »
« Avec les élections de novembre dernier et avec ce référendum, nous avons bien commencé à débarrasser la France de ces notables inamovibles, de ces notoires abusifs, qui, à la fin du xxe siècle, continuent à considérer qu'ils peuvent décider du sort du pays sans le consulter.
AP. — Vous pensez que c'est urgent, ce référendum ?
GdG. — Il ne faut le faire ni trop tôt, ni trop tard. L'an dernier, on a assez voté. Il vaut mieux attendre.
« Mais il faut, reprend-il, éviter que cette disposition essentielle de la Constitution ne tombe en désuétude. Ce qui a déjà été le cas pour le droit de dissolution sous la III e , après le 16 mai 7 . Et aussi le cas pour la procédure référendaire sous la IV e . Après le référendum négatif de mai 46 et le référendum douteux d'octobre 46, les hommes de la IV e se sont bien gardés de faire appel à cette procédure. Elle est donc restée lettre morte pendant douze ans. Heureusement que cette faculté figurait dans la Constitution de 46. Sans quoi, je n'aurais jamais pu faire changer la Constitution. »
Il m'avait fait une déclaration voisine, le 12 septembre 1962 : « La France n'a pu trouver le salut en 58 que grâce à cette graine que j'avais déposée au cœur de la IV e République. »
Le Sénat ; de Gaulle ; le référendum. Les « notoires abusifs », mais indéracinables ; l'homme de la nation ; la nation rassemblée à son appel. Que de fois, fasciné par ce face à face du général de Gaulle et du peuple, je me suis interrogé sur le besoin qu'il a de sentir et de mesurer l'approbation populaire ! Les clameurs qui ponctuent ses allocutions, la chaleur de ses
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