C'était De Gaulle - Tome I
divisent. Vous ne sortez pas de là. En se jetant dans la bagarre, il a diminué sa stature.
AP. — Et maintenant ?
GdG (un silence). — Debré reste une carte pour la France. Une bonne carte. Le jour venu, ce sera peut-être la meilleure. On ne peut pas savoir. »
Nouveau silence. Il a visiblement envie de changer de sujet.
« J'ai pensé que Leclerc deviendrait le recours »
AP : « En 46, quand vous avez quitté le pouvoir, aviez-vous pensé que quelqu'un, derrière vous, pouvait se mettre "en réserve de la République" ?
GdG. — Vous savez, l'Assemblée, alors, était souveraine et lagauche la dominait. J'ai pensé que Léon Blum était digne de prendre la queue de la poêle. J'ai essayé de l'y pousser. Mais il s'est dérobé. Il savait que, quand des parlementaires ont le choix entre un type capable et un tocard, ils sont toujours portés à préférer le tocard. Ils n'ont pas souhaité Blum, ils ont pris Gouin.
« Par la suite, j'ai pensé que Leclerc aurait pu réussir ce que j'avais réussi dans la guerre et que les partis m'avaient empêché de réaliser après la guerre : l'unité nationale, par-dessus les divisions partisanes. En 40, il m'avait aussitôt rejoint, à tous risques. Koufra, Paris, Strasbourg, le nid d'aigle d'Hitler, c'était un personnage de légende. Il bénéficiait du même genre de capital que moi, sans avoir suscité la haine des partis ; de mon jeu, il détenait les bonnes cartes, sans les mauvaises.
« Il avait le coup d'œil, la fermeté, le patriotisme. Les politicards n'auraient pas pu le récuser facilement, d'autant qu'il servait fidèlement les gouvernements socialistes. Il était mon cadet d'une douzaine d'années ; il pouvait attendre. J'ai pensé qu'il deviendrait le recours, quand le régime d'assemblée aurait fait la preuve de son impuissance. Alors, j'ai commencé à songer à mes Mémoires ; il était là. Quand il s'est tué, il a fallu que je reprenne du service. Quand il s'est tué, ou quand on l'a tué... »
Je sursaute : « Vous croyez que cet accident d'avion était un attentat ?
GdG. — On ne pourra jamais le prouver. Il est vrai que Leclerc était téméraire et qu'il a peut-être dit au pilote: "Marche ou crève ", malgré le vent de sable. Mais il est vrai aussi que le KGB, ou quelque service secret, pouvait essayer de le faire disparaître. Ramadier, après avoir mis les communistes à la porte, devait faire face à des grèves insurrectionnelles. Les anciens de la 2 e DB avaient défilé à Paris, ce qui avait suffi à faire peur à la CGT de la région parisienne et à faire cesser les occupations d'usines. Ramadier avait envoyé Leclerc en Afrique du Nord, avec mission de tenir prête une force qui serait intervenue contre les communistes pour rétablir l'ordre en cas d'émeute. Ceux qui poussaient à la subversion avaient intérêt à le faire disparaître. »
« Gaulliens » et « vieux-gaullistes »
Les compagnons de l'UNR n'étaient pas les seuls, loin de là, à accompagner de Gaulle. À l'Élysée, deux filières s'entremêlaient. Le secrétaire général Étienne Burin des Roziers pour les contacts avec le gouvernement, le directeur de cabinet Georges Galichon pour les rapports avec la société, étaient des hauts fonctionnaires, certes loyaux entre tous, mais sans lien avec le parti : ils étaient gaulliens. Ainsi de la plupart des membres de son entourage, purs de tout souci électoral.
À côté d'eux, il y avait quelques vieux-gaullistes, qui avaient servi fidèlement le Général au RPF et pendant sa traversée du désert : Olivier Guichard, Pierre Lefranc, Jacques Foccart. Il avait besoin d'eux et s'appuyait souvent sur eux, même s'il affectait parfois de les tenir à distance, non sans ingratitude.
On retrouvait ces deux filières dans le gouvernement : les gaulliens comme Couve, Joxe ou Jeanneney, les vieux-gaul listes comme Frey, Triboulet ou Marette.
Les gaulliens avaient tendance à penser que le Général n'était que trop indulgent pour les vieux-gaullistes :
« Le Général, me confie Couve le 8 janvier 1964, veut m'imposer, de temps en temps, d'envoyer en poste des gens incompétents, mais qui ont fait une belle guerre, ou qui ont été militants du RPF. Après la Libération, il a nommé des têtes brûlées qui ont fait le coup de feu, mais dont l'image ne répond guère à ce qu'on attend d'un diplomate. X... (un ambassadeur qui avait fait merveille dans les combats de la la France libre) n'a obtenu que de
Weitere Kostenlose Bücher