C'était De Gaulle - Tome I
coopération étroite seraient de beaucoup préférables. Mais il ne serait pas mauvais que le FLN se rende compte qu'on va forcément vers ça, s'il continue à fuir le contact. La solution négociée n'aboutira qu'à la condition que nous en ayons une autre toute prête. Il faut avoir deux fers au feu. Vous qui écrivez, pourquoi n'approfondiriez-vous pas cette solution dans des articles de journaux ? »
En me raccompagnant à la porte, il me dit simplement :
« Inutile de parler de notre entretien à quiconque. » « Inutile » est évidemment une litote pour : « Interdit. »
Banque Rothschild, 4 août 1961 .
Cet exercice de politique-fiction m'intéresse et ce secret m'émoustille. Il devient d'autant plus urgent de creuser cette hypothèse que le FLN, après quelques velléités de négociation, vient de rompre brusquement les pourparlers de Lugrin 2 . J'ai donc écrit aussitôt un article sur ce thème 3 . Le jour où il paraît, je rends visite à Georges Pompidou dans son bureau rue Laffitte 4 , pour l'entretenir de la marche du Comité français pour l'Union paneuropéenne. Pompidou expédie ces détails, puis m'interpelle : « Vous avez écrit dans La Vie française de ce matin (elle est ouverte sur son bureau) un article sur le partage de l'Algérie. Ça, c'est une solution ! Ça permettrait à la fois de protéger les pieds-noirs et de sauver le pétrole. »
Il éprouve un véritable emballement intellectuel. Il s'est levé, et dans son petit bureau aux fauteuils tapissés de velours vert, il marche de long en large, les mains dans les poches.
Plus il s'échauffe, plus il trouve d'arguments. Il se rassied. Sous ses sourcils broussailleux, ses yeux de jais me fixent. Il ajoute, comme un argument suprême : « Le Général approuve votre article, mais il souhaiterait que vous fassiez quelque chose de plus important. Pourquoi pas une série d'articles dans Le Monde, qui seraient plus fouillés et qui auraient plus de retentissement, comme ceux que vous avez écrits l'an dernier sur l'Europe ? »
Il avait évidemment téléphoné à l'Élysée, sans doute à Brouillet.
Malraux : « Les Français se diviseront entre partageux et dégageux »
Paris , août 1961 .
Au cours de ce mois, sans rien dévoiler de ma conversation avec le Général, je me suis exercé à faire réagir différents ministres, ou quelques-uns de leurs plus proches collaborateurs, sur l'hypothèse du regroupement, suivi, en cas de malheur, du partage. Elle s'est heurtée à l'hostilité résolue de Louis Joxe : « Les Algériens sont très forts ! Quand nous négocions, ils se baisseraient sous la table pour nous délacer nos chaussures. Il suffirait qu'ils apprennent que vos idées ont la sympathie du gouvernement, pour qu'ils montent sur leurs grands chevaux : ils se déroberaient peut-être irrémédiablement. »
Maurice Couve de Murville a été tout aussi catégorique : « On n'échappera pas à l'indépendance, et à l'indépendance d'une Algérie unitaire, sous direction exclusive du FLN. Je l'ai dit au Général dès ma prise de fonctions, en juin 1958. Pendant longtemps, j'ai été le seul autour de la table du Conseil à le penser. Maintenant, nous sommes au moins trois, avec le Général et Joxe. N'allez pas compliquer les choses avec votre théorie ! Ne vous montez pas le coup ! Ce sera l'indépendance, et sans partage !
« Il est impossible que le Maroc et la Tunisie soient indépendants et que l'Algérie ne le soit pas. Ce sont les mêmes djebels, les mêmes crève-la-faim, la même intelligentsia formée par nous et qui nous déteste. En face de ces réalités-là, le juridisme ne tient pas ! Ce n'est pas parce qu'on a découpé l'Algérie en départements français que ce sont des départements français. C'est un pays arabe, qui sera indépendant comme tous les pays arabes.
« Et puis, la grande politique étrangère que veut conduire le Général n'est possible qu'à partir d'une indépendance volontairement consentie à l'Algérie et assortie d'accords de coopération.»
Robert Gillet et Jacques de Beaumarchais 5 , ainsi que Geoffroy de Courcel et Bernard Tricot 6 , m'ont fait des variations amicales mais sans équivoque sur le même thème.
En revanche, cette hypothèse a entraîné la vive approbation du Premier ministre Michel Debré 7 , d'Olivier Guichard et de Jacques Foccart. De même pour les principaux collaborateurs deLouis Joxe, Bruno de Leusse et Vincent Labouret 8 , persuadés que le FLN ne
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