C'était De Gaulle - Tome I
, 12 juillet 1961 .
De Gaulle a évoqué publiquement un « regroupement des Européens d'Algérie » qui pourrait « esquisser un partage ». Je suis allé demander à René Brouillet si le Général pensait sérieusement à cette éventualité comme à un moyen de mettre fin à la guerre d'Algérie. « Très sérieusement », me dit Brouillet.
« Est-ce une idée de fond, ou une ruse ? Dans un cas comme dans l'autre, il faudrait creuser l'hypothèse. L'a-t-on fait ?
— Je crois que le Général ne souhaite pas qu'on fasse une étude approfondie dans une instance officielle, car ça pourrait compromettre la reprise des négociations. Mais peut-être qu'il ne serait pas fâché que quelqu'un se livre à titre privé à une réflexion personnelle. Il est seul en ce moment. Pourquoi ne lui poseriez-vous pas vous-même la question ? »
Brouillet va voir le Général, puis m'introduit après un moment, comme il l'a déjà fait plusieurs fois.
« Le FLN, me dit le Général, a peur de négocier. Il a peur de faire la paix. Il a peur de prendre des responsabilités. Il ne sait faire que deux choses, entretenir des troupes en Tunisie et au Maroc et, par sa propagande, monter le plus possible de pays contre nous. Il craint d'avoir à faire ses preuves dans les œuvres de la paix. Continuer cette fausse guerre est pour lui la solution de facilité. Il exige le divorce avec pension alimentaire. Mais il refuse de se présenter à l'audience. Nous devons trouver une poire d'angoisse 1 qui luirende le statu quo insupportable. Il faut qu'il en vienne à préférer la coopération négociée, devant laquelle il recule encore. »
Je fais observer au Général que, si la partition de l'Algérie n'est qu'une menace tactique, elle n'aura pas plus d'effet sur les rebelles qu'un revolver à bouchons. Elle ne les dissuadera de préférer la poursuite de la guerre à des négociations que si elle apparaît comme concrètement possible. Elle devrait faire l'objet d'études précises et entraîner un début de réalisation, à tout le moins un mouvement d'opinion favorable. Il en convient.
« Une minorité doit être majoritaire quelque part »
J'avance des objections ; ils les chasse d'un revers de main. En quelques phrases sans réplique, il me montre que la partition permettrait de regrouper les Européens, dont les trois quarts demeurent déjà près de la côte entre Alger et Oran ; que cette bande de terrain serait beaucoup plus facile à défendre contre le terrorisme que la totalité d'un vaste territoire, truffé de cachettes introuvables ; que les habitants voteraient bientôt avec leurs pieds, pour l'une ou l'autre des deux parties de l'Algérie, et qu'il y aurait vite plus de candidats pour la nôtre que pour celle qu'on abandonnerait aux rebelles ; que le FLN, invulnérable tant qu'il était désincarné, deviendrait vulnérable quand il serait soumis à des représailles sur le sol qu'il administrerait. Quant au Sahara, habité de populations attachées à la France, il pourrait être érigé en une République autonome, directement reliée à la partie de l'Algérie qui resterait française. Ainsi seraient sauvegardés les deux points auxquels le Général attachait le plus d'importance : des garanties pour les Européens, et la disposition du Sahara (pour le pétrole, mais surtout pour la poursuite des expérimentations nucléaires).
Il a réplique à tout. Visiblement, il y a mûrement réfléchi. Ce plan n'a pas l'air d'être seulement un stratagème.
Il développe, pour finir, un argument qui comblerait d'aise les pieds-noirs s'ils l'entendaient : « L'important pour une minorité, comprenez-vous, c'est d'être majoritaire quelque part. Si les Français de souche étaient majoritaires en Oranie et dans la plaine de la Mitidja jusqu'à Alger, ils seraient les maîtres du sol. Personne ne pourrait y trouver à redire, pour peu qu'ils laissent la population musulmane libre de s'organiser à sa guise au-delà du réduit où on les regrouperait. Les Canadiens français sont majoritaires au Québec : là, ils ont pu exister, ils ont pu se défendre. Dans les autres provinces, où ils sont minoritaires, ils sont noyés, laminés. Les pieds-noirs, et les musulmans qui voudraient rester avec eux, pourraient tenir dans ce réduit. Les deux millions d'Israéliens ont bien tenu en face des cent millions d'Arabes qui les entourent.
« Ce n'est pas l'idéal, conclut-il ; des pourparlers de paix et l'établissement d'une
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