C'était De Gaulle - Tome I
l'Euphrate. Elle aurait aidé tous ces pays à se moderniser, sans prétendre à les gouverner. (N'est-il pas de nouveau en train de refaire l'histoire, bien qu'il vienne de dire qu'il s'y refusait ?) Cette p q litique-là permettait d'avoir une influence prépondérante en Égypte, au Levant, dans tout le Proche-Orient. Nous avons creusé le canal de Suez en faisant valoir aux Égyptiens qu'il faciliterait le pèlerinage de La Mecque. Mais la politique de l'Algérie française a réussi à la fois à nous enfermer dans un piège en Algérie, à nous chasser de Suez et d'Égypte, à nous mettre à dos tout le monde arabe. »
Nous, ici, c'est le pluriel, non de majesté, mais de solidarité : nous les Français, nous Napoléon III et Ferdinand de Lesseps, nous la III e et la IV e . Il n'y a qu'une histoire de France , comme il aime à dire.
Les dames se sont levées. Le Général se lève aussi. Il prend quand même le temps de conclure : « Quand l'Algérie deviendra algérienne, les pieds-noirs se retrouveront sans pouvoir. Ce qu'ils devraient faire maintenant, c'est s'attacher à remplacer le pouvoir par les garanties. Mais ils n'en sont pas encore là. Ils s'accrochent à l'espoir de garder le pouvoir, l'armée, l'autorité de la France. Ils rêvent. Le réveil sera rude. »
1 La maîtresse de Félix Faure, qui serait mort entre ses bras.
Chapitre 11
« IL FAUT TROUVER UNE POIRE D'ANGOISSE »
Élysée , 15 mars 1961 . Nouveau déjeuner intime, en l'honneur cette fois de Wilfrid et Christiane Baumgartner.
À l'apéritif, le Général veille à ce que chacun ait son verre ; il se substitue même au maître d'hôtel pour verser aux dames un doigt, non de porto mais de muscat de Frontignan, non de whisky mais de cognac à l'eau. Dans ce palais qui doit donner l'exemple à la France, notre hôte entend qu'on serve seulement des produits de France.
« Il paraît que c'est la faute de Napoléon »
Christiane Baumgartner se récrie : « Mais pourquoi donc, général, avons-nous pris l'habitude de boire du whisky ? Le cognac à l'eau est tellement meilleur ! »
Le Général répond, avec un petit sourire en coin : « Il paraît que c'est la faute de Napoléon. Du fait du blocus continental, les Anglais ne recevaient plus leur cognac, dont ils raffolaient en l'allongeant. Ils ont été obligés de se débrouiller avec les moyens du bord. Ils se sont rabattus sur le whisky d'Écosse — une vulgaire eau-de-vie de grain, conservée dans des barriques de chêne, dont elle prenait le goût. Quand le blocus a été levé, les Anglais s'étaient habitués au scotch. Ils ont préféré l' ersatz à l'original. Puis nous les avons imités, par anglomanie. Mais il serait raisonnable que nous, au moins, nous revenions à l'original, de préférence à l' ersatz . »
Il ajoute, comme pris d'un scrupule d'historien : « Je n'ai pas vérifié cette histoire, mais ça pourrait bien être vrai. » Se non è vero ...
Au café, je demande à Baumgartner s'il est facile, pour un gouverneur de la Banque de France, de devenir ministre des Finances. Il sourit, fait un « chut » malicieux avec son index sur la bouche ; puis il m'entraîne vers une encoignure de fenêtre :
« Vous n'imaginez pas, mon cher, comme votre question est cruelle. De Gaulle m'avait convoqué pour me demander de prendre la succession de Pinay. J'ai décliné l'offre : "Je ne suis pas digne. Je connais mal le milieu politique. Je ne suis pas fait pour être ministre. Je suis simplement un serviteur de l'État." De Gaulle insiste. J'insiste dans mon refus : "J'aime mieux continuer mon action à la Banque de France, qui est loin d'être achevée."Il m'a répondu sur un ton à la fois calme et sans réplique, comme une constatation évidente : "Mais vous n'êtes plus gouverneur de la Banque de France !" »
Baumgartner commente : « Il a l'art de vous assouplir les reins. Ces manières rudes, il n'a sans doute pas encore eu l'occasion de vous les appliquer. Mais ça viendra, vous verrez. »
L'assouplissement de reins va venir plus tôt que je ne pensais, pour une affaire dans laquelle le Général me plonge avant de m'en retirer brutalement et de m'y replonger encore ; à la façon de ce supplice utilisé dans l'ancienne marine, où l'on lançait dans la mer, retenu par une corde, le malheureux matelot à punir, avant de le remonter dès qu'il commençait à surnager, pour recommencer encore.
« Le FLN exige le divorce avec pension alimentaire »
Élysée
Weitere Kostenlose Bücher