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C'était De Gaulle - Tome I

C'était De Gaulle - Tome I

Titel: C'était De Gaulle - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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proscrite, il ne se fait pas d'illusions pour l'avenir.) Et qu'est-ce que c'est, pour un pays comme la France, de recueillir cent mille ou deux cent mille rapatriés ? Une goutte d'eau.
    AP. — Mon général, si nous remettons l'Algérie au FLN, ils ne seront pas cent mille, mais un million !
    GdG. — Pensez-vous ! Sur le million des Français de souche, il y en a moins de cent mille, les colons avec leurs familles, qui profitaient du régime colonial et qui, évidemment, cesseront de pouvoir le faire. Mais les autres s'adapteront à la situation nouvelle que créera l'indépendance. L'Algérie nouvelle aura besoin d'eux et ils auront besoin d'elle.
    AP. — Dans mon livre, je montre que, de proche en proche, tout le tissu social se déchirerait. Ils forment une société à part, où tous dépendent les uns des autres. Les commerçants, les médecins, les avocats suivraient leur clientèle quand elle partirait. Etc. En cent trente ans de colonisation, il n'y a pratiquement pas eu de mariages mixtes. L'habitat est resté séparé. Pour peu que des exactions se déchaînent, une panique s'emparerait d'eux. Ils se sentiraient livrés à la vengeance des masses musulmanes. Ce ne sont pas cent mille qui partiraient. Ce sont cent mille qui resteraient, au maximum. Mon bouquin conclut que la formule "De Dunkerque à Tamanrasset" se réduirait à son premier terme.

    « Il faut faire glisser ce fardeau de nos épaules »
    GdG. — Je crois que vous exagérez les choses. Enfin, nous verrons bien. Mais nous n'allons pas suspendre notre destinnational aux humeurs des pieds-noirs ! Si nous suivons votre solution, nous dresserons la Terre entière contre nous. Le tiers-monde va se solidariser avec les Arabes. Nous aurons créé un nouvel Israël. Tous les cœurs, dans le monde arabe, en Asie, en Amérique latine, battront à l'unisson des Algériens. Les Juifs ont une bonne raison : c'est sur cette terre qu'ils ont eu leurs racines, bien avant les Arabes ; et ils n'ont pas d'autre foyer national. En Algérie, les Arabes ont l'antériorité ; tout ce que nous avons fait porte la tache ineffaçable du régime colonial ; le foyer national 1 des Français d'Algérie, c'est la France. Croyez-moi, cette solution ne serait pas digne de la France. Elle ne serait pas conforme à ses intérêts à long terme. Il faut faire glisser ce fardeau de nos épaules. Il nous épuise.
    AP. — Vous m'aviez dit en juillet que le FLN ne conclurait jamais la paix si on ne lui enfonçait pas dans la gorge une poire d'angoisse . A-t-il changé ? Si vous ne voulez plus du partage comme poire d'angoisse, que nous resterait-il ?
    GdG. — Il nous resterait le dégagement ! Il faudrait dégager au plus vite. Ce serait peut-être tant mieux pour nous ; ce serait en tout cas tant pis pour eux. »
    Ainsi, Malraux avait raison sur de Gaulle contre de Gaulle. Le Général bascule. Il cesse d'être partageux pour devenir dégageux .
    AP : « Vous ne pouvez pas faire de plus grand cadeau aux gens du FLN que d'annoncer notre retrait ! C'est tout ce qu'ils souhaitent.
    GdG. — Grand bien leur fasse ! »
    J'ai le cœur serré en voyant de Gaulle balayer mes arguments en faveur du regroupement, avec autant de vigueur qu'en juillet dernier, il avait balayé mes objections.
    Je fais une dernière tentative : « Nous pouvons faire la part du feu, mais il ne doit pas tout embraser ! La France n'a pas le droit d'abandonner ceux qui ont cru en elle ! »
    Le Général me répond avec une véhémence contenue : « Et moi, croyez-vous que ce serait de gaieté de cœur ? Moi qui ai été élevé dans la religion du drapeau, de l'Algérie française et de l'Afrique française, de l'armée garante de l'Empire ? Croyez-vous que ce n'est pas une épreuve ? Croyez-vous que ce n'est pas affreux pour moi d'amener les couleurs, où que ce soit dans le monde ? »
    Je me lève, atterré. Comment imaginer notre « dégagement » autrement que comme une lourde défaite ? Comment éviter la tragédie de tant de réfugiés ?... Et tant de travail inutile ! J'avais pris goût à ce Kriegspiel, comme on prend goût à tout ce qu'on fait avec soin. Mais justement, cet exercice d'état-major, il ne mel'avait confié à moi, isolé et chétif, que parce qu'il ne voulait pas le confier à l'État-major, qui se serait sans doute emballé pour cette hypothèse de laquelle, ensuite, on n'aurait pu le faire démordre...

    « Ça peut encore servir »
    Le Général s'est radouci. Il me raccompagne.

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