C'était De Gaulle - Tome I
des idées de gauche ; qu'elle « fait du zèle » (il faut sans doute traduire : elle le pousse à la rébellion contre la France). « Il connaît l'Afrique noire comme sa poche... Mais le reste du monde aussi. Tous mes collègues partant en poste en apprennent tout autant de lui, sur le pays où ils sont accrédités. Tu en restes bouche bée. »
La demi-heure sonne, l'aide de camp m'introduit. Le Général m'apostrophe, sur un ton rude :
« Alors, on me dit que vous faites campagne pour le partage de l'Algérie et que vous voulez même publier un livre ? »
Interloqué, je réplique en lui rappelant ses incitations successives. Devant lui, tout de même, je peux faire allusion au secret du roi ! Il me coupe sans ménagement.
« Vous voulez faire un Israël français »
« Peu importent les détails. Allons à l'essentiel. Pour vous, c'est quoi, l'essentiel ?
AP. — L'essentiel, c'est que :
« 1) On regroupe entre Alger et Oran tous les Français de souche, avec tous les musulmans qui se sont engagés à nos côtés et veulent rester avec nous.
« 2) On transfère dans le reste de l'Algérie tous les musulmans qui préfèrent vivre dans une Algérie dirigée par le FLN.
« 3) On garde un libre accès au Sahara, qui doit devenir un territoire autonome par rapport aux deux premiers.
« 4) Tout le reste est négociable. On pourra partager Alger, comme Berlin ou Jérusalem : la Casbah d'un côté, Bab-el-Oued de l'autre, une ligne de démarcation au milieu.
GdG. — En somme, vous voulez faire un Israël français. C'est ce à quoi voulait me pousser Ben Gourion, quand il est venu me voir. Mais il m'avait bien averti : "Ça ne marchera que si vous envoyez en masse d'autres colons français, s'ils s'installent définitivement, et s'ils s'engagent comme soldats pour combattre." Vous imaginez ça ! Les pieds-noirs veulent que notre armée les défende, mais ils n'ont jamais éprouvé le besoin de se défendre eux-mêmes ! Vous les voyez se poster à leurs frontières pour prendre la relève de l'armée française? Les soi-disant "Unités territoriales" n'ont jamais eu la moindre valeur militaire. Elles faisaient plus de mal que de bien. Il a fallu les dissoudre.
AP. — Mais je ne préconise pas une séparation définitive, ni une partition entre un territoire qui resterait à la France et une Algérie qui serait livrée au FLN. Je propose une Algérie indépendante,avec des cantons à la suisse, où chaque communauté soit maîtresse chez elle. Ce qui me paraît souhaitable, ce n'est pas de faire une partition irréversible, mais de rendre la coexistence possible et l'association désirable. Si c'est le cas, on aurait une gestion séparée des parties privatives, et une gestion en commun des parties communes — comme le Sahara, ou les ports. On ménagerait des liens organiques, qui pourraient se renforcer à l'avenir. La partition ne serait qu'une menace, une force de dissuasion.
GdG. — Ne vous y trompez pas, ce ne serait pas une association paisible, ce serait un voisinage hostile.
AP. — Chaque fois que des communautés ethniques se sont affrontées, l'Histoire n'a trouvé qu'un moyen pour les faire tenir tranquilles, c'est de les séparer. Par exemple en Irlande, en Inde, en Palestine. »
« Depuis 1954, la nation algérienne est née dans le sang »
Le Général, voyant que j'ai un jeu d'épreuves sur mes genoux, me demande les plans de regroupement que j'ai prévus. Il chausse ses lunettes et examine mes six scénarios en silence.
GdG : « Vos cartes ne laissent au FLN que les régions pauvres. On vous accusera de les reléguer dans la misère et de vouloir garder à la communauté européenne toutes les richesses.
AP. — Mais ce sont des richesses créées par la colonisation ! Quand les premiers colons français sont arrivés, la Mitidja n'était qu'un marécage infesté de malaria ; entre Alger et Oran, la vie était encore plus précaire qu'ailleurs.
GdG. — Ce que vous proposez aurait été possible avant la rébellion. Depuis 54, la nation algérienne est née dans le sang. Rien ne pourra l'empêcher d'exister. Maintenant, les masses musulmanes, du Sénégal à l'Indonésie, veulent une Algérie souveraine. Aucune force, de nos jours, ne peut étouffer un peuple qui lutte pour son indépendance.
AP. — C'est pourquoi il faut donner l'indépendance à l'Algérie, dans toutes ses composantes. Mais, autant il est inacceptable qu'un million d'Européens dominent une communauté
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