C'était De Gaulle - Tome I
secrétaire d'État à l'Information auprès de moi. Pour la passation des pouvoirs, vous vous arrangerez demain avec Terrenoire 1 et La Malène 2 , dont vous regroupez les fonctions. » Je balbutie : « Mais je ne connais rien à ce ministère-là ! Je pensais que vous alliez me proposer un secrétariat d'État aux Affaires étrangères. Là, je ne me sentirais pas trop incompétent, puisque c'est mon métier.
— J'y avais songé et le Général aussi, mais Couve n'en veutpas. Il trouve que vous êtes beaucoup trop jeune. Il dit que ce ne serait pas convenable, précisément parce que vous appartenez à ce corps, que vous donniez des ordres à de grands ambassadeurs qui sont vos aînés de trente ans et vous considèrent comme un gamin. »
Couve a de la suite dans les idées. Voici deux ans, Michel Debré m'a confié avoir eu, avec l'accord du Général, la même intention ; Couve lui avait déjà fait exactement la même réponse... Jusqu'à quel âge resterai-je un gamin ?
« Il a bien écrit sur le partage , mais je ne l'en ai pas découragé »
Je reprends : « En tout cas, pour l'Information, je crains de n'avoir pas les qualités requises. »
À vrai dire, ce ne sont pas tellement mes qualités qui m'inquiètent, c'est le cadeau que me fait Pompidou. Il me reçoit dans le « Salon des perroquets », ainsi appelé à cause des oiseaux qui ornent ses tentures. Vais-je devenir un perroquet ? Et si un ministère a mauvaise réputation, c'est bien celui-là, à cause de l'autorité qu'il exerce sur la radio-télévision française.
Avec une rudesse toute en rondeur, Pompidou me répond : « Ce n'est pas la peine de faire des chichis, vous savez bien que vous ne pouvez pas refuser. Je pars dans un instant montrer la liste au Général. Elle sera rendue publique sur le perron de l'Élysée. » Et il me pousse vers la sortie.
Le tout a duré moins de trois minutes. Je fais part de ma déconvenue à Guichard, gentiment narquois. Il me montre la liste du gouvernement. Gilbert Grandval est secrétaire d'État au Commerce extérieur. « Voilà ce qu'il me fallait ! Courir le monde et négocier, je sais faire. Ce serait une erreur de me mettre dans un poste qui exige beaucoup d'autorité ; Grandval, qui a trente ans de plus que moi et a occupé de grands postes, ferait merveille. »
Guichard éclate de rire, mais veut bien me rouvrir la porte de Pompidou, qui, assis à sa table, s'est mis à recopier sa liste. Il lève à peine la tête : « Vous en avez, des idées ! Votre échange standard serait ridicule. Sachez que c'est le Général qui a eu l'idée de vous mettre à l'Information, quand on a su hier que le MRP obligeait Maurice Schumann à refuser ce poste. Il m'a dit : " Prenez donc Peyrefitte. Il a bien écrit sur le partage de l'Algérie, mais j'aurais mauvaise grâce à le lui reprocher, puisque je ne l'en ai pas découragé... Il saura vendre la salade." Venant du Général, c'est un ordre.»
Pompidou me raconte ce dialogue comme une bonne blague. Il reprend son stylo ; regard vers la porte. Il ne me dit pas « Rompez ! », mais le pense.
« Gardien des secrets d'État »
Élysée , lundi 16 avril .
Je passe d'abord saluer Étienne Burin des Roziers, qui a été voici seize ans mon maître de conférences préféré à l'ENA. J'ai été tout heureux de le retrouver, en janvier, installé dans le bureau de Geoffroy de Courcel. « Vous verrez, me dit-il, pour vous comme pour moi, le poste qui vient de nous être confié restera la plus grande joie de notre vie. »
Le Général reçoit à la queue leu leu — vingt minutes chacun, m'a-t-on prévenu — les nouveaux ministres. Quand l'aide de camp, à l'heure pile, m'ouvre la porte du « Salon doré », le Général me laisse traverser cette vaste pièce et se lève à peine. Je ne le reconnais pas : lui qui, depuis un peu plus de trois ans, se montrait si courtois et presque amical, il me dévisage sans aménité :
« Vous n'entrez pas au gouvernement pour les honneurs, mais pour la mission. C'est-à-dire pour le service. Le service de la France. Il commence par le service de l'État.
« Vous avez fait du latin. Ministre, cela signifie serviteur. Et secrétaire d'État, cela veut dire gardien des secrets d'État. Votre rôle est d'informer, à la fois comme porte-parole et par l'autorité que la loi vous confère sur la radio et la télévision. Il vous faut en dire le moins possible, mais faire passer le mieux possible les messages qui sont dans
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