C'était De Gaulle - Tome I
musulmane dix fois plus nombreuse, autant il serait inacceptable de chasser de chez elle une communauté française qui est enracinée dans cette terre depuis cinq générations. Si cette communauté est majoritaire dans le territoire où elle sera regroupée, personne ne peut l'empêcher d'avoir la libre disposition d'elle-même. L'ensemble pourrait se fédérer si tout va bien, se confédérer si ça va un peu moins bien, se séparer si ça ne va pas du tout. Leurs liens se resserreraient ou se distendraient selon que la tranquillité reviendrait ou non.
GdG. — Rassurez-vous, nous ne signerons un accord avec la rébellion que si des garanties formelles sont données aux Français de souche pour leur maintien en Algérie.
AP. — L'expérience a montré — comme vous me l'aviez dit vous-même quand vous m'avez invité à travailler sur ce, thème — que la seule sauvegarde pour une minorité, dans un État pluriethnique, consiste en ce qu'elle soit majoritaire sur une portion du sol. La perspective qu'elle pourrait faire sécession si on menaçait sa survie, c'est la garantie des garanties. Le seul fédéralisme qui tienne est celui qui comporte des droits territoriaux. Vous me l'avez rappelé à propos du Québec.
GdG. — Ne vous faites pas d'illusions. La séparation entre ces deux Algéries se ferait dans la douleur. Ce sont les extrémistes qui prendraient le pouvoir : les musulmans les plus révolutionnaires à l'Est, les pieds-noirs les plus réactionnaires à l'Ouest. On passerait du coup de couteau au coup de canon. La guerre ne serait pas finie. Elle se poursuivrait sous d'autres formes. Et nous y serions entraînés malgré nous.
AP. — Du moins, si guerre il y a, ce ne sera plus une guerre civile. En cas d'hostilités, il y aura entre les deux camps des barbelés et des miradors, comme actuellement entre les Allemagnes de l'Est et de l'Ouest, ou entre les Corées du Nord et du Sud.
GdG. — Vous n'empêcherez pas que le terrorisme continue dans la partie où les Français seront majoritaires, ni que les Arabes s'assassinent toujours les uns les autres. Ils portent ça en eux.
AP. — Il serait tout de même plus facile de maintenir l'ordre dans une petite poche, que dans un territoire quatre fois grand comme la France. Et, en cas d'actions de guerre, des représailles et expulsions seraient possibles.
« Si j'avais dix ans devant moi »
GdG. — Regardez Israël. Tout le monde arabe est dressé contre lui. Mais, au moins, les Israéliens se battent pour défendre leur indépendance, après l'avoir conquise. Les pieds-noirs ne veulent pas de l'indépendance : ils veulent que nous soyons sous leur dépendance, comme ils en avaient pris l'habitude.
AP. — Même en Indochine, où nous avions été sévèrement battus, les accords de Genève ont partagé le Vietnam entre le Nord du 17 e parallèle, abandonné au Vietcong, et le Sud, qui était confié à un régime ami. Ça a stabilisé la situation. En Algérie, où notre armée est maîtresse du terrain et d'où la métropole est toute proche, ce serait quand même le diable si on ne réussissait pas à en faire autant ! Il pourrait se créer une situation comme celle de Hong-Kong, où affluent des réfugiés de la province de Canton.Les Arabes s'échapperaient de l'Algérie socialiste, comme les Chinois fuient la Chine communiste.
GdG. — Tout ça, on pourrait le tenter, peut-être, si j'avais dix ans devant moi. Mais le temps m'est compté. Ça n'a que trop traîné. J'ai tout essayé, tout ! Il faut en finir. »
Il se tait un instant, comme pour me permettre de récapituler ce qu'il a essayé. Un choc psychologique, à son arrivée au pouvoir, au début de juin 1958. « L'intégration des âmes.» Des contacts secrets avec le FLN, par l'intermédiaire de Farès. L'appel à la « paix des braves ». Une formidable accélération du développement, par le plan de Constantine. L'offensive militaire, avec le plan Challe. La tentative de ralliement d'une fraction du FLN, par Si Salah, bientôt assassiné. Les négociations de Melun, avec la perspective d'une phase d'autonomie au sein de l'ensemble français. Oui, il a tout essayé, et tout a échoué.
Il reprend avec une résolution résignée :
« Le temps travaille contre nous ! L'Algérie, ça nous gangrène ! Ça gangrène notre jeunesse ! Mieux vaut s'en aller la tête haute que de rester au prix du sang. (Il doit penser : « au prix de la torture » ; bien qu'il l'ait énergiquement
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