C'était De Gaulle - Tome I
Le Général m'avait chargé d'y faire entrer les socialistes et les radicaux. Ce qui était impossible à Debré, l'a été tout autant à moi. Je n'ai réussi auprès d'aucun d'entre eux, même pas d'Edgar Faure, qui pourtant en meurt d'envie. J'avais seulement pu accroître le nombre des MRP en faisant entrer Pflimlin et Schumann, les deux plus marquants d'entre eux. Voilà qu'ils s'en vont, et emmènent avec eux ceux qui étaient déjà là ! Leur départ va nous gêner. C'est comme une fêlure au flanc du vase. Il n'est pas bon que le gouvernement ne soit composé que de gaullistes et de hauts fonctionnaires. C'est mauvais pour le Général, c'est mauvais pour les gaullistes, c'est mauvais pour la France ; et il le comprend très bien. C'est pourquoi cette affaire l'atteint en profondeur, même s'il le cache. »
Au bout d'un temps : « Le Général nous a joué un bien mauvais tour. Il aurait pu donner sa conférence de presse le lendemain ! Notez bien, ajoute-t-il avec bonne humeur, il aurait même pu se dispenser complètement de la faire, cette conférence de presse. »
Il conclut, dans un sourire narquois : « Tout ça finira par un gouvernement Bonneval 7 homogène ! »
C'est la première fois que je l'entends proférer une critique, si teintée d'humour qu'elle soit, à l'égard de De Gaulle. Mais nous sommes seuls dans son bureau...
Jamais je ne l'entendrai égratigner le Général devant témoins. Dès qu'on est plus de deux, il s'interdit la moindre expression qui pourrait apparaître comme une réserve.
« Les adversaires, il faut les mettre hors de combat »
Deux ans après, j'interrogerai le Général sur le silence de Pflimlin au congrès MRP du Touquet :
Salon doré, 13 mai 1964.
GdG : « Pourquoi Pflimlin a gardé le silence ? Parce qu'il a peur de ne pas être réélu l'an prochain comme maire de Strasbourg. Alors, il se tient à carreau. S'il se met mal avec l'UNR, il est cuit. Il préfère se taire. Puis, une fois qu'il sera réélu maire, il verra que faire.
AP. — De temps à autre, on dit dans la presse que vous envisagez de le faire rentrer au gouvernement dans le courant de cet été.
GdG. — Il le croit peut-être. Ou il le souhaite, sans oser y croire. Mais il ne connaît pas encore de Gaulle. »
Le Général lève les bras et déclame, comme une citation (que j'ignorais) : « Passez votre chemin ! Nous vous avons donné votre chance. Vous n'avez pas su la saisir. »
AP : « Vous ne croyez pas qu'avant les élections municipales, pour favoriser des listes de coalition qui permettraient de conforter l'UNR, il y aurait peut-être avantage à faire entrer au gouvernement quelques caciques de la IV e qui ne nous sont pas franchement hostiles ?
GdG. — Je ne le ferai pas. On ne peut pas compter sur eux ; alors, il ne faut pas composer avec eux. En 58, nous ne pouvions pas faire autrement, pour entraîner le pays. La transition était délicate. Maintenant, elle est faite ! Les hommes de la IV e , sauf ceux qui se rallient ouvertement, publiquement, sont des adversaires. Les adversaires, il ne faut pas essayer de les amadouer. Il faut les mettre hors de combat !
AP. — Et Maurice Schumann ?
GdG. — C'est autre chose.»
1 PDG de RTL.
2 Pierre Pflimlin, Maurice Schumann, Robert Buron, Paul Bacon et Joseph Fontanet ont démissionné pour marquer leur désaccord avec la conférence de presse de la veille, au cours de laquelle le Général, juste un mois après la formation du nouveau gouvernement, préconisait l'Europe des nations, contre l'idée d'une Europe supranationale.
3 Pierre Pflimlin et Maurice Schumann.
4 La Constitution dispose que, si un nouveau ministre ne quitte pas le gouvernement dans le mois suivant sa nomination, il perd son mandat de parlementaire.
5 C'est ce second scénario qui se déroulera, mais à l'automne ; et non sur « le régime présidentiel », mais sur le mode d'élection du Président.
6 On a surtout retenu de cette conférence de presse la phrase : « Dante, Goethe, Chateaubriand n'auraient pas beaucoup servi l'Europe, s'ils avaient écrit en quelque "espéranto" ou "volapük" intégré.»
7 Nul ne servait plus fidèlement le Général que Gaston de Bonneval, son aide de camp depuis la « traversée du désert ».
Chapitre 8
«NOUS N'AURONS PLUS AUCUNE RESPONSABILITÉ »
Au même Conseil du 16 mai 1962 où « nos rangs se sont éclaircis », Joxe n'est guère rassurant :
« Une secousse très violente a eu lieu à Alger. Le 13 mai
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