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C'était De Gaulle - Tome I

C'était De Gaulle - Tome I

Titel: C'était De Gaulle - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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»
    À l'issue du Conseil, Pompidou, très calme, me fait de brèves recommandations. J'accompagne le Général dans son bureau. Il est encore plus congestionné : « C'est quand même incroyable, ce lâchage. J'ai réaffirmé, sans y rien changer, ma position permanente. L'Europe des nations est la seule possible. Il n'y en a pas d'autre, en tout cas jusqu'au siècle prochain. Alors, pourquoi ne pas faire tout de suite ce qui est réalisable ?
    « Nous devons la bâtir non sur des mythes, mais sur des réalités, par le rapprochement des États, qui permettra le rapprochement des nations. C'est absurde de vouloir donner des pouvoirs supranationaux à une commission de fonctionnaires apatrides. Il faut conférer des pouvoirs de plus en plus grands auconseil des chefs d'État et de gouvernement et aux conseils spécialisés des six ministres, dans leurs compétences respectives. La commission ne doit faire rien d'autre que d'assurer le secrétariat de ces conseils. C'est ce que prévoyait le plan Fouchet. Il est dommage qu'il ait été rejeté. Un jour viendra où on le trouvera très audacieux. Tant pis pour ceux qui se disent "européens" ! C'est une occasion manquée pour l'Europe.
    AP. — Je crois que ce qui lui a été le plus pénible, c'est quand vous avez cité Racine en parlant de Strasbourg. Il a dû prendre ça pour une insulte.
    GdG. — Il n'aurait pas pris ça pour une insulte s'il avait voulu rester au gouvernement. Mais il a saisi le prétexte de cette conférence de presse pour s'en aller, car il sait que les mois qui viennent seront durs et il ne tient pas à se compromettre. Nous surmonterons cette crise et nous surmonterons celles qui suivront, car nous avons choisi la seule voie qui permette à la France de redevenir la France. »
    Heureusement qu'il a admis, la semaine dernière, que notre conversation se prolonge par des questions et des réponses. Les conventions sont passées ; le pli est pris. Je me suis engagé à la discrétion : rester silencieux sur ce qui doit rester secret, distiller au compte-gouttes des confidences sur ce qui doit filtrer. Il s'était engagé implicitement à faciliter mon jeu. Il n'est pas question de revenir dessus.
    En se levant, il me dit : « Quand vous allez rencontrer votre meute, prenez l'air dégagé. Traitez cette affaire comme une péripétie sans importance. Dans huit jours, on n'en parlera plus.» Il me tend la main calmement, pour me communiquer son flegme, craignant visiblement que je me laisse prendre par l'agitation.
    Dans la grande salle de presse du ministère de l'Intérieur, les journalistes sont trois fois plus nombreux que pour les derniers Conseils. Ils me harcèlent. Enfin, il se passe quelque chose ! Enfin, il y a une vraie crise, comme sous la IV e !

    « Le Général nous a joué un bien mauvais tour »
    Georges Pompidou, qui d'habitude se garde de me donner, le jour du Conseil, des instructions qui pourraient être différentes de celles du Général, me convoque dès mon retour au « petit Matignon » et me dit avec gravité : « J'ai voulu minimiser l'affaire devant le Général, pour qu'il retrouve la sérénité qui lui est indispensable. Il a été très atteint, cette nuit, par le coup de téléphone de Pflimlin, qui lui a clamé sa colère. J'ai essayé de faire barrage, mais je n'y ai pas réussi. Le Général est plus affecté qu'il ne veut le laisser paraître. Il doit éprouver la même sensation que Napoléon à Leipzig, quand les troupes saxonnes l'ont lâché. »
    Il ajoute avec gravité : « Le Général est un grand cyclothymique. Ne vous imaginez pas qu'on le sert en l'encourageant dans ses impulsions du moment, dans ses humeurs, dans ses tocades. Il faut au contraire lui résister, lui permettre de revenir au point central de la sinusoïde ; sinon, il nous brouillerait avec la terre entière. Rien n'était plus facile que d'éviter cet incident. Il suffisait de supprimer dans son texte la phrase sur le "volapuk" 6 .
    AP. — Et surtout la citation de Phèdre, que Pflimlin a prise pour lui.
    Pompidou. — Si nous avions lu son texte à l'avance, vous ou moi, ou Couve ou Burin, nous lui aurions évité cette gaffe. Nous devons être les gants de velours sur cette main de fer. C'est comme ça que nous le servirons le mieux. Debré, lui, c'était un gant de crin. »
    Après un silence, il reprend : « Cette histoire m'ennuie, parce qu'elle réduit à néant l'ouverture que j'avais tenté de faire en formant mon gouvernement.

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