C'était De Gaulle - Tome I
l'autodétermination. Les Européens nous donnent un spectacle à la fois vaudevillesque et sanglant.
« Il y a un courant important de gens qui veulent rester, et, pour cela, se faire donner des assurances, en ayant l'air qu'elles soient en supplément de celles qui ont été garanties par les accords d'Évian. Il n'y a pas d'inconvénient à ce qu'ils le croient, ou feignent de le croire.
« Il en reviendra de toute façon en France. Pour ceux-là, que ça se fasse dans l'ordre. Mais beaucoup resteront en Algérie. Soit qu'ils fassent semblant de partir, mais avec la ferme intention de revenir ; soit qu'ils ne partent pas.»
Pendant ces semaines, de Gaulle est pareil au pilote d'une embarcation dans des rapides. Il n'a qu'un souci : garder le cap et atteindre, sans verser, les eaux calmes. Du plus malheureux pied-noir aux ministres autour de cette table, chacun hésite. Lui, il se l'interdit. Il n'a qu'une référence, Évian ; qu'un but, l' autodétermination, c' est-à-dire l'indépendance. En les rappelant sans cesse, il donne à chacun le moyen de sortir, même en piteux état, de ce maelstrom tragique.
1 Quatrième anniversaire du 13 mai 1958.
2 Finalement, le nombre des harkis et de leurs familles réfugiés en France serait de 400 000, si l'on en croit l'estimation d'André Wormser (« En quête d'une patrie : les Français mulsumans et leur destin », in Les Temps modernes, n° 452-54, mars/mai 1984, pp. 1839-1857 ; cf. Mohand Hamoumou, Et ils sont devenus harkis, Fayard, 1993).
3 Lendemain du jour prévu pour le référendum sur l'autodétermination.
4 S'est fait apprécier comme maire libéral d'Alger ; soutenu par l'intelligentsia musulmane et israélite, combattu par les « petits blancs » et les comités de salut public.
Chapitre 9
PREMIER VOYAGE EN PROVINCE : « J'AI ÉTÉ PLUSIEURS FOIS TENTÉ DE TOUT LÂCHER»
« Un des privilèges du responsable de l'Information, m'avertit Georges Galichon 1 , c'est d'accompagner le Général dans ses tournées. Voulez-vous faire partie du voyage en Limousin ? » À chaque visite en province, se retrouvent deux « accompagnateurs de fondation », le ministre de l'Intérieur et celui qui est chargé de l'Information (dans les voyages outre-mer, le premier est remplacé par le ministre chargé des Départements et Territoires d'outre-mer). D'autres ministres vont et viennent suivant les circonstances. Mais il n'en faut pas plus de trois présents dans une même journée : le Général n'aime pas une suite trop nombreuse.
« Le peuple a davantage de bon sens »
Haute-Vienne, samedi 19 mai 1962.
De Gaulle, qui affirme n'avoir que « la solitude pour amie », devrait ajouter : « et la foule ». Il n'apprécie guère la société de quelques-uns. Ne lui donnent une vraie allégresse que le tête-à-tête silencieux avec lui-même, et les masses lui clamant leur amour.
De village en bourgade et en grande ville, au travers de cette campagne d'un vert éclatant, il énonce les mêmes certitudes, que les journalistes trouvent lassantes — mais, dans chaque localité, on les entend en direct pour la première fois. Plus l'allocution est banale, plus les applaudissements sont frénétiques ; et quand il se plonge dans la foule pour saisir les mains, il est saisi lui-même par une frénésie du contact.
Propos entendus dans un village. Le maire, gros homme au teint violacé, ceint d'une écharpe tricolore, vient de faire au « sauveur de la patrie » un discours qui ne recule pas devant la flagornerie. Un de ses concitoyens le blague en lui tapant sur l'épaule : « Tu es devenu plus gaulliste que de Gaulle ! » Il répond : « Faut jamais pisser contre le vent ! » Il est communiste, m'assure le préfet.
Les départements visités en ces quatre jours 2 sont à peu près exclusivement représentés par des communistes, des socialistesou des radicaux de gauche 3 . Et les Limousins font un triomphe au Président que leurs parlementaires voudraient empêcher de gouverner. Pour les élections législatives ou municipales, le changement de République n'a pas modifié leurs votes. Mais « de Gaulle, c'est autre chose ». « Lui, au moins, il ne fait pas de politique », me dit une paysanne à fichu noir. En tout cas, la défection des ministres MRP n'a visiblement pas troublé l'opinion, ni diminué d'un degré la température de l'enthousiasme.
Le soir venu, le Général a l'air en parfaite forme, alors que sa suite, y compris les journalistes, est fourbue.
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