C'était De Gaulle - Tome I
ballottage, en mai 1968 après la première nuit des barricades puis après l'échec de son premier appel radiotélévisé. Il commande aux muscles de son visage, non à la pression de ses artères. Sans doute subit-il une poussée de tension quand il est sous le coup d'une émotion forte.
« Cette démission est bien fâcheuse dans ces graves circonstances »
« Nos rangs se sont éclaircis, mais la situation aussi », dit le Général à peine assis. (Un long silence.) « La décision de cinq d'entre nous de démissionner me frappe d'étonnement. (Il emploie évidemment ce mot au sens du grand siècle.)
« Deux d'entre eux, qui venaient de nous rejoindre 3 , étaient parfaitement au courant des idées en matière européenne du Président de la République, qui les avait exposées au Conseil des ministres, au lendemain de l'échec de la conférence de Paris. Quant au départ des trois autres, il m'étonne encore plus. D'innombrables fois, ceux-ci les ont entendues exprimées autour de cette table. Ils s'en étaient, depuis plus de trois ans, parfaitement contentés. Si habitué qu'on soit aux péripéties de la vie politique, on ne peut échapper à une certaine surprise.
« Cette démission est fâcheuse dans les graves circonstances où se trouve le pays. La question de l'Europe ne se pose pas sous un angle nouveau. Mais la fin de l'affaire d'Algérie nous prépare de rudes semaines. Ceci explique peut-être cela. En tout cas, il ne faut pas croire qu'un tel événement doive et même puisse interrompre le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Nous continuons. L'incident va être clos dans la journée, par l'attribution des portefeuilles qui viennent d'être... abandonnés. (Il a attendu avant de choisir ce mot ; il le martèle pour montrer qu'il l'emploie au sens militaire d'abandon de poste.)
Pompidou. — Les cinq ministres MRP ne se sont décidés qu'à contrecœur ; surtout quatre d'entre eux, qui n'ont fait que suivre le mouvement imposé par le premier. Ce qui l'a emporté, c'est l'attitude sentimentale de Pflimlin, son côté chat écorché, et aussi, naturellement, le fait que c'était hier le trentième jour depuis la formation du gouvernement 4 . Pierre Pflimlin et Maurice Schumann devaient opter avant minuit entre leur mandat de député et leur maroquin de ministre. C'est Pflimlin qui a entraîné la décision des quatre autres, qui n'ont pas estimé pouvoir se désolidariser de lui. Si le hasard du calendrier avait voulu, mon général, que vous fassiez cette conférence de presse aujourd'hui 16 mai, et non pas hier, vous n'auriez probablement reçu aucune démission. Personne n'y aurait même songé.»
Est-ce l'aveu d'une erreur technique ? Mais pouvait-on, à Matignon, à l'Elysée, imaginer la colère de Pflimlin ? Il est vraiqu'aucun de nous ne connaissait le texte de la conférence de presse.
Pompidou efface rapidement l'effet de cette légère autocritique, adressée en fait à d'autres qu'à lui : « Mais nous ne sommes plus sous la IV e . Cet épisode sera vite oublié. »
Pendant toute la durée du Conseil, des billets passent de main en main : « Il ne faut pas faire un gouvernement entièrement UNR. Si nous pouvons nous rallier deux indépendants, nous parons le coup politiquement », écrit Jean de Broglie — « Mais non ! Ça ne nous rapportera pas vingt voix, qui ne tiendraient pas devant une motion de censure », répond Pierre Dumas. Passant de main en main, la feuille s'enrichit : « Un gouvernement trop fortement UNR serait le bouc émissaire. Il faudrait des gaullistes de gauche », écrit Grandval. « Des fonctionnaires, il n'y a que ça de vrai ! » préconise Joxe. Etc.
Pisani fait circuler un scénario. « Ordre des opérations : 1) Compléter le gouvernement. Ensuite, ou bien : 2) Il ne se passe rien à l'Assemblée. Ce qui est probable. 3) Élections en avril 1963. Ou bien : 2) Motion de censure. 3) Dissolution. 4) Référendum sur le régime présidentiel. 5) Élections 5 . »
« En cas d'article 16, peut-on déposer une motion de censure ? » demande Missoffe. « Non », répond Foyer. Roger Frey imagine une variante musclée du scénario Pisani : « 1) Censure. 2) Dissolution de l'Assemblée. 3) Article 16 (interruption du processus électoral). 4) Quand l'affaire d'Algérie est terminée et, que la situation se stabilise, référendum constitutionnel. 5) Élections dans la foulée. »
« Prenez l'air dégagé : une péripétie sans importance
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