C'était De Gaulle - Tome I
que d'aller à Lille, ils préféreront revenir à Oran! Il ne faut pas jeter le manche après la cognée! C'est une substance humaine française, que nous n'avons pas le droit de perdre! Il est souhaitable qu'ils reviennent en Algérie, et que ceux qui y sont encore y restent! Il ne faut ni les laisser s'agglomérer à Marseille, ni les laisser s'expatrier! Où serait notre avantage à provoquer un mouvement d'émigration ?
Joxe (insiste sur la suggestion de Pompidou, qu'il avait dû préalablement convaincre; sa grande idée est que les pieds-noirs inoculeraient le fascisme à la France). — Dans beaucoup de cas, il n'est pas souhaitable qu'ils retournent en Algérie, ni qu'ils s'installent en France, où ils seraient une mauvaise graine! Il vaudrait mieux qu'ils s'installent en Argentine, ou au Brésil, ou en Australie.
GdG. — Mais non! Plutôt en Nouvelle-Calédonie ! Ou bien en Guyane, qui est sous-peuplée et où on demande des défricheurs et des pionniers ! »
C'est peut-être la seule occasion où j'ai entendu le Général exprimer un sentiment positif à l'égard des pieds-noirs. Lui et eux ne se sont pas « compris », mais il ne veut pas que la France les perde.
« Le chiffre des départs est inférieur à celui de l'an dernier »
Après le Conseil, le Général me résume la situation:
« Faites donc comprendre à vos journalistes que la lutte des diverses tendances pour le pouvoir ne concerne pas le gouvernement français. Mais ce qu'il faut souligner, c'est l'accord qui semble s'être établi entre toutes ces tendances pour respecter les accords d'Évian. Le 14-Juillet a été l'occasion, pour les autorités algériennes, de l'Est à l'Ouest, de manifester chaleureusement l'attachement des Algériens à la cause de notre coopération.»
Sur le rythme des rapatriements, la synthèse que me trace le Général est résolument optimiste : «Le nombre des repliés par jour a considérablement baissé depuis le mois de juin. La moyenne des départs est tombée à 4 500 par jour. Ce chiffre est inférieur à celui de l'an dernier.
« Dans l'Algérois et dans le Constantinois, on peut prendre le bateau ou l'avion sans attendre. La situation n'est tendue qu'à Oran, où une dizaine de milliers de personnes attendent sur le quai ou à l'aérodrome de pouvoir s'en aller, à cause de l'attitude des soi-disant Français que vous savez.
AP. — Je parle de la situation à Marseille?
GdG. — Vous pouvez dire qu'il y a là une situation préoccupante. Plus du tiers des repliés se sont agglutinés à Marseille. Ils s'y trouvent bien. C'est un port méditerranéen qui ressemble à leurs villes familières et qui leur permet de rester en position d'attente, avant de choisir entre le maintien en métropole et le retour en Algérie. Même quand on les envoie en bateau à Bordeaux, ils prennent le train pour rejoindre Marseille. Ce qui soulève des problèmes d'ordre public et d'emploi. Il faudra donc prendre des mesures autoritaires pour disséminer cette masse. »
À propos des fonctionnaires, le Général met de l'eau dans son vin: « Dites simplement que certains fonctionnaires et agents des services publics qui étaient en service en Algérie se trouvent dans une situation irrégulière. Les circonstances les ont amenés à quitter précipitamment l'Algérie ou à demeurer en France en dehors de leurs congés normaux. Ils sont instamment invités à vérifier sans délai auprès de leur administration de rattachement s'ils se trouvent en situation régulière. Dans le cas contraire, ils s'exposeraient à ne plus recevoir ni affectation ni traitement.»
« Il n'y a pas de révolutionnaires en Algérie, seulement des grenouilleurs »
Au Conseil du 25 juillet, Joxe disserte sur les rivalités entre les nouveaux dirigeants algériens, puis manifeste pour la première fois de l'inquiétude: «Des enlèvements ont eu lieu. Ils sont quelque peu mystérieux. La Croix-Rouge d'Oran a reçu des demandes de recherches pour 280 personnes disparues. Pour celle d'Alger, le chiffre est inférieur. Dans l'ensemble, ces disparitions ne dépasseraient pas 500. S'agit-il de faits personnels, de vengeances, d'actes de banditisme ? En tout cas, ces enlèvements ralentissent le retour des Européens vers l'Algérie, qui se dessinait nettement; celui des fonctionnaires eux-mêmes serait compromis, si ça devait continuer. Il s'ensuivrait un marasme qui provoquerait un nouvel exode.
GdG. — Dans la confusion où se trouve
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