C'était De Gaulle - Tome I
sa prise de position a été décisive ?
GdG. — Il a joué un rôle non négligeable. Il pouvait influencer la droite conservatrice en soutenant ma politique algérienne, lui qui descendait du roi sous lequel avait été réalisée la conquête de l'Algérie. Il l'a fait.»
Il s'arrête. Je sens qu'il va poursuivre; il ne faut pas l'interrompre:
« Cet homme, qui venait de sacrifier son fils pour que la France puisse quitter l'Algérie la tête haute 3 , après que leur ancêtre avait offert l'Algérie à la France, représentait une force puissante de témoignage. Le soutien sans hésitation et sans faille qu'il m'a accordé par ses Bulletins était d'un grand prix. »
« Il récapitule dans sa personne les quarante rois qui ont fait la France»
Salon doré, 19 décembre 1962.
AP : « On murmure que le comte de Paris voudrait se présenter à votre succession et que vous le soutiendriez 4 . On prétendmême que vous n'auriez modifié la Constitution que pour lui permettre d'être élu. »
Le Général hausse les épaules, garde quelques secondes un silence méprisant: on ne répond pas à de sottes élucubrations comme celle de ma seconde phrase. Mais il répond à la première:
GdG: « Il est décidé à se présenter. Il me l'a dit. Pourquoi l'en empêcherais-je? Tout Français peut être candidat. Il en est sûrement plus digne que beaucoup d'autres qui ne songent qu'à ça. De là à dire que je le soutiendrai, c'est une autre affaire.
AP. — Certains gaullistes pensent, au contraire, que les égards dont vous l'avez comblé ces dernières années étaient une ruse. (Je me garde bien de lui dire que Pompidou avait usé de ce mot devant moi.)
GdG (tape du poing sur la table). — Mais non! Il les méritait, ces égards ! Il n'y a que des gaullistes, par jalousie, pour penser des stupidités pareilles! Je l'ai entouré d'égards parce qu'il récapitule dans sa personne les quarante rois qui ont fait la France; et parce que la partie en valait la peine; et aussi parce que la personne même du Prince mérite considération. »
Il a dit « le Prince », comme les royalistes. Dans ses propos familiers et dans ses messages au comte de Paris, qui sont publiés de temps à autre, le Général donne un sentiment d'allégeance tellement accusé, qu'on se demande s'il ne les teinte pas d'un peu d'ironie. Ou alors, est-ce qu'au fond de lui, il est vraiment royaliste? Aujourd'hui, d'évidence, nulle réserve dans son propos.
AP: « S'il se présentait à l'élection présidentielle, ce serait pour rétablir la monarchie?
GdG. — Mais non! Qui parle de ça? Il s'agit de la présidence de la République, à laquelle chaque citoyen a le droit de postuler; lui comme les autres, puisque la loi de bannissement a été abrogée. Un point, c'est tout.
AP. — Mais, une fois Président de la République, comment échapperait-il à la tentation de faire comme le président Louis-Napoléon Bonaparte?
GdG. — Qui y pense? Je ne crois pas que le comte de Paris y pense lui-même. Ne vous laissez pas obséder par le souvenir du Second Empire, comme les têtes creuses de gauche. Vous vous imaginez qu'un 2 Décembre, ça se ferait aujourd'hui comme au siècle dernier? La France était un pays aux quatre cinquièmes rural, avec des masses illettrées. Il suffisait de s'emparer des points forts de la capitale et tout le pays basculait. D'autant qu'on avait oublié Waterloo et qu'on se souvenait seulement d'Austerlitz. À notre époque, quel est le Morny qui réussirait une pareille opération sans déclencher une guerre civile? Pour rétablir aujourd'hui la monarchie, il faudrait que le peuple français soit monarchiste. Vous voyez bien qu'il ne l'est pas. Alors, ce n'est pas la peine d'épiloguer. »
1 La population algérienne, par référendum, a ratifié le 1 er juillet les accords d'Évian et approuvé l'indépendance dans la coopération, qui a été proclamée le 3 juillet.
2 Louis-Philippe.
3 Le soir même où le fils du comte de Paris, le prince François, fut tué dans les Aurès, le 11 octobre 1960, le Général avait adressé et communiqué à la presse un télégramme qui faisait de cette mort au champ d'honneur un événement national.
4 Dans son livre paru en 1994, Dialogue sur la France (Fayard), le comte de Paris l'affirme, et publie des documents qui semblent aller dans ce sens.
Chapitre 17
«IL NE FAUT PAS LAISSER DES FRANÇAIS S'EXPATRIER»
Au Conseil du 18 juillet 1962, échanges de vues
Weitere Kostenlose Bücher