C'était de Gaulle - Tome II
Allemands, ne respectaient pas le traité, ils nous obligeraient à une politique de rechange »
AP. — De-ci de-là, dans la presse, on dit que le traité franco-allemand présente des risques.
GdG (il me réplique vivement). — Quels risques? Que l'Allemagne ne ratifie pas ce traité, ou n'en observe pas les stipulations? Alors que c'est elle qui en a pris l'initiative? Le risque serait pour les Allemands, s'ils ne respectaient pas le traité. Ils nous obligeraient à adopter une politique de rechange, qui serait lourde de dangers pour eux.
AP. — Pourquoi le domaine économique a-t-il été tenu à l'écart ?
GdG. — Le Chancelier, pour les Allemands, invoque le refus de déposséder la Communauté économique européenne. Vis-à-vis de nous, il dit que la raison essentielle était son refus de se faire accompagner à Paris par Erhard. »
Après un rire prolongé, il ajoute: « C'est un vieux renard », avec une sorte d'attendrissement, alors que ce refus, venant d'un autre, lui aurait fait l'effet d'une manœuvre politicienne.
Le Général redevient grave : « L'état politique de l'Allemagneest une question beaucoup plus sérieuse et beaucoup plus préoccupante que les remous provoqués par l'agitation des Anglo-Saxons.
« Nous venons de conclure un traité avec une Allemagne qui, dans son âme, est troublée. Le Chancelier est en fin de course. Les candidats à sa succession s'agitent. Ça crée une atmosphère politique qui n'est pas heureuse. Les Allemands ratifieront le traité, tout en disant qu'il n'est pas suffisant, ou qu'il va trop loin.
« S'ils ne le ratifiaient pas, notre conscience serait tranquille vis-à-vis d'eux et vis-à-vis de l'Europe et nous trouverions alors une autre orientation. (Il réitère.)
AP. — Dans ce cas, il s'agirait d'un renversement d'alliances? Vous vous tourneriez vers la Russie, comme vous l'aviez fait en décembre 1944 ?
GdG. — Enfin, si vous voulez. Et avec plus de chances de succès. Staline n'est plus là, le monde a changé, l'Empire russe se craquelle, son impérialisme militaire et idéologique bat en retraite.
« En Allemagne, je crains que ce soit une nouvelle République de Weimar qui se prépare. Nous avons affaire à des gens qui sont administrativement sérieux, mais politiquement pas beaucoup. Le mieux, c'est quand même de leur donner l'habitude d'adhérer à la France. Sans nous, Dieu sait à quoi ils adhéreraient ! »
« Depuis des siècles, les Anglais ont essayé d'éviter l'intimité entre les Gaulois et les Germains »
Le Général s'étend ensuite sur « l'agitation de Bruxelles » :
« Alors, on grogne et on rechigne devant l'accord franco-allemand. Les Anglo-Saxons craignent de ne plus pouvoir intervenir dans l'intimité franco-allemande. Dès lors que je leur tenais tête, il était fatal qu'ils se déchaînent. Depuis des siècles, les Anglais ont essayé d'éviter l'intimité entre les Gaulois et les Germains. C'est aussi, maintenant, le cas des États-Unis.
« Comment s'étonner que la fermeté de ma position et l'appui que me donne le Chancelier provoquent des remous de leur part et de la part des nombreux et brillants supporters français de l'Amérique ?
« La presse feint de croire que l'essentiel, dans les trois jours qui viennent de s'écouler, c'est la " crise de Bruxelles " et que, le Chancelier et moi, on s'est surtout occupé de ça. Sur cinq heures de conversation en tête à tête que nous avons eues, cinq minutes environ ont été consacrées à l'entrée de l'Angleterre dans le Marché commun, et elles ont consisté à remarquer que nous étions complètement d'accord. »
« Il vaut mieux faire envie que pitié »
Conseil du jeudi 24 janvier 1963. Couve (avec un rien d'ironie dans la voix) : « Les Allemands sont dans l'incertitude. Le gouvernement va changer. Comment appliqueront-ils ce texte? Et puis, cet étroit accord entre la France et l'Allemagne provoque des réactions négatives chez nos partenaires: crainte de la prépondérance franco-allemande, espoir que cet accord restera lettre morte.
GdG. — Notre refus de la Force multilatérale américaine, ensuite notre refus de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, enfin la signature du traité de coopération franco-allemande, qui laisse sur le côté le Benelux et l'Italie, ces trois événements joints provoquent un tremblement de terre. Il ne faut pas s'étonner que les jalousies explosent. Il vaut mieux faire envie que pitié.
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