C'était de Gaulle - Tome II
traité en prétextant qu'il ne voulait pas mêler Erhard à la négociation. En fait, il ne voulait pas que ce traité comporte des dispositions économiques qui auraient porté ombrage à Hallstein 2 et à la Commission de Bruxelles. »
Nous avons été aussi étonnés l'un que l'autre que le Chancelier et le Général, toutes signatures échangées, se soient embrassés, dans un élan auquel personne ne s'attendait, sans doute pas eux-mêmes. Pompidou, qui connaît le Général mieux que moi, ne l'avait jamais vu, lui si maître de lui, céder ainsi à une poussée d'émotion. Le combat contre l'Allemagne, c'était toute sa vie: d'adolescent et de jeune officier tendu vers la Revanche; d'officier supérieur obsédé par la recherche du bon armement et de la bonne stratégie, qui permettrait de terrasser l'Allemagne ou en tout cas de ne pas être terrassé par elle; de fondateur et chef de la Résistance à l'occupant. Et voilà que tout basculait en cet instant de fraternité.
Salon doré, 23 janvier 1963.
Le Général m'a convoqué inopinément ce matin pour me « briefer », comme il ne dit pas, mais comme dit le Landerneau. Il n'est pas satisfait de la manière dont la presse de ce matin a rendu compte de ce grand jour.
GdG : « Comme toujours, elle ne sait que verser dans l'anecdote et cracher de la bile. Pourtant, c'est une grande affaire. »
Le Général développe alors devant moi son idée du traité franco-allemand: « Ce n'est pas un simple accord, comme nous l'avions d'abord prévu. Adenauer a tenu à adopter la forme solennelle d'un traité, à faire ratifier par le Bundestag. Nous aussi, par symétrie, nous serons amenés à demander une approbation parlementaire.
« Le rapprochement franco-allemand demeurera »
« Il s'agit de donner à l'affaire l'aspect le plus spectaculaire possible. Adenauer m'a dit: "La déclaration et le traité que nous avons signés sont le couronnement de ma vie." Aussi voyons-nous tous deux avec sérénité les agitations qui se sont produites 3 . La conjoncture passera. Cette réalité essentielle qu'est le rapprochement franco-allemand demeurera.
«Ce traité peut s'étendre aux quatre autres membres de la Communauté économique européenne.
« La coopération politique européenne ne se fera pas si la France et l'Allemagne ne coopèrent pas essentiellement (il détache le mot). Il était donc logique de commencer par le commencement.
« L'important est de faire quelque chose de concret, par la pratique de la coopération: rencontres, échanges de jeunes et de diverses catégories de population, découverte de sujets où l'union de la France et de l'Allemagne peut progresser.
« Ces contacts en profondeur ne sont pas aussi nécessaires avec l'Italie, qui est de même nature que nous; nous sommes des Latins. Des échanges avec les Belges ne bouleverseraient pas les réalités antérieures.
« Au contraire, prendre des contacts fréquents entre Français et Allemands est essentiel. Dès cette année, on va faire des échanges des deux jeunesses, mais aussi d'ouvriers, de syndicalistes, de paysans. Et des échanges d'unités militaires, avec des manœuvres françaises en Allemagne, et des manœuvres allemandes en France. Tout ça devrait avoir beaucoup de résonance. »
Ce parti-pris de l' action concrète et de réunions organiques a permis au traité de traverser toutes les turbulences, de survivre à ses auteurs et à ses acteurs successifs. Cela reste sa grande originalité.
« Adenauer est de moins en moins sûr que les Américains utiliseraient leur bombe nucléaire pour défendre l'Allemagne »
« Nous avons aussi parlé des problèmes militaires. Adenauer en est de plus en plus préoccupé. Il ne ressent plus la certitude que, quoi qu'il arrive et de toute façon, l'arme atomique américaine protégerait l'Allemagne. Il est de moins en moins sûr que, si les Russes attaquaient le sol allemand, les Américains se serviraient de la bombe pour le défendre.
« L'accord de Kennedy et Macmillan à Nassau ne l'a pas rassuré du tout. Il s'agit seulement pour l'Allemagne, comme éventuellement pour l'Italie, de fournir un contingent de matelots dans les sous-marins américains! Il n'est pas question un seul instant que les Allemands et les Italiens soient consultés sur l'emploi des armes, sur la stratégie, etc. C'est vraiment se moquer du monde. Et ça ne garantit nullement les Allemands que, s'ils étaient attaqués, ils seraient défendus.
« Si les
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