C'était de Gaulle - Tome II
d'Européens de nous prémunir par nous-mêmes, au lieu de nous en remettre aux Américains en nous liant pieds et poings.
« Mais les Russes ne sont pas tellement convaincus que le fait pour la France de s'attacher les Allemands soit une mauvaise chose pour eux. Ils s'en servent, naturellement, pour leur propagande. Vinogradov 1 est venu se plaindre. Moi, je lui ait dit: " Vous vous moquez du monde. Vous êtes un colosse formidable et vous nous faites une scène! L'Allemagne fédérale n'est pas conquérante ! " Vinogradov m'a répondu: "Mais elle peut devenir une menace. Elle peut vous entraîner."
« Ces gesticulations sont accessoires. L'essentiel, c'est que l'Union soviétique serait tentée de faire avec les États-Unis unnouveau Yalta, qui serait au détriment de l'Allemagne. Les Soviétiques agitent la menace allemande pour faire un rideau de fumée. Qui ramassera les morceaux de l'Allemagne ? Probablement ceux qui se seront montrés le mieux disposés envers elle. »
Salon doré, après le Conseil.
J'aborde un autre aspect du sujet: « Nos partenaires sont tentés de tout lâcher aux Américains et d'abandonner le Tarif extérieur commun.
GdG. — L'Europe doit se décider à être l'Europe. Elle doit dominer son sentiment d'infériorité envers l'Amérique, qui n'est, après tout, que sa fille. Les Européens doivent préférer l'Europe à l'Amérique, que diable! Tant qu'ils ne s'y résoudront pas, il n'y aura pas d'Europe. »
Et comme je m'aventure à insister sur l'accueil de la presse à l'annonce d'une nouvelle prise de distance à l'égard des Américains, le Général me rabroue:
« Vous ne pensez tous qu'à une chose, c'est d'éviter de faire ronchonner le rédacteur en chef de La Dépêche du Midi! Vous n'avez donc pas compris que tous ces journaux n'ont pas d'autre importance que celle que vous leur accordez? »
« Au besoin, je parlerai de nouveau moi-même au peuple allemand »
Salon doré, 20 février 1963.
AP : « Adenauer aura-t-il la force d'imposer sa politique?
GdG. — C'est le point noir. Il n'en a plus que pour quelques mois. Il a sorti l'Allemagne du chaos; quand il s'en ira, elle risque d'y retourner.
AP. — Craignez-vous que le Bundestag ne ratifie pas le traité? GdG. — Non, je crois qu'il n'aura jamais le courage de s'y opposer. Le populo est pour, en Allemagne comme en France. »
Il garde un instant de silence, puis laisse tomber:
« Au besoin, je lui parlerai de nouveau moi-même, en allemand, au peuple allemand.
AP. — Vous retourneriez en Allemagne ?
GdG. — Mais non, je n'y retournerais pas! Il y a les ondes.
AP. — Vous seriez prêt à faire une allocution radiotélévisée aux Allemands. En exclusivité à une des chaînes?
GdG. — Pourquoi une? Vous croyez que si j'invitais toutes les radios et télévisions allemandes, elles me boycotteraient ? »
Cette déclaration serait-elle d'un effet foudroyant sur la population allemande? Il fait un pas en arrière :
« Mais je ne le ferais que si c'était vraiment nécessaire. Surtout, gardez ça pour vous. Je ne crois pas qu'il en soit jamais besoin. Carles parlementaires allemands comprendront la responsabilité terrible qu'ils prendraient, s'ils rejetaient ce que leur peuple demande et que le bon sens exige. »
« Les Allemands mériteraient que nous dénoncions le traité »
Salon doré, 24 avril 1963.
Pour obtenir, du Bundestag méfiant, une large ratification, Adenauer s'est résigné à adjoindre au traité un préambule unilatéral qui affirme la solidarité « atlantique » de l'Allemagne, réduisant ainsi la portée européenne (au sens gaullien) du traité.
Le Général me charge de présenter à la presse cette version officielle de notre réaction:
« La France a fait connaître au gouvernement allemand qu'elle n'avait pas d'objection à l'inclusion dans la loi de ratification allemande d'un préambule réaffirmant la fidélité de la République fédérale à son engagement atlantique et européen. »
Mais la vérité ressentie par le Général est tout autre:
« Les Américains essaient de vider notre traité de son contenu. Ils veulent en faire une coquille vide. Tout ça, pourquoi? Parce que des politiciens allemands ont peur de ne pas s'aplatir suffisamment devant les Anglo-Saxons! Ils se conduisent comme des cochons! Ils mériteraient que nous dénoncions le traité et que nous fassions un renversement d'alliance en nous entendant avec les Russes! »
Ce n'est pas tout à
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