C'était de Gaulle - Tome II
fait parole en l'air: il s'en entretient aussi avec Pompidou, qui me confie le surlendemain sa préoccupation: « Le Général éprouve une profonde déception. Il songe à faire machine arrière. »
Pourtant, en public, le Général continue à clamer sa foi dans la « réconciliation en profondeur » dont Adenauer et lui-même ont été les ouvriers. À Vitry-le-François, il se félicite que la France ait noué une amitié solide avec son ancienne ennemie, surmontant « toute espèce de séquelles d'un passé cruel et sanglant »
« Les Anglais veulent entrer, mais à leurs conditions »
Au Conseil du 5 juin 1963, Couve expose que, sur l'agriculture, les Allemands font des difficultés, qui seraient levées si nous acceptions d'introduire les Anglais dans le Marché commun...
GdG: « Les Anglais veulent se donner les moyens d'intervenir. Et on prête une oreille complaisante à quiconque plaide pour eux. Les Belges, les Hollandais, les Italiens, c'est leur nature de céder à ces pressions.
Couve. — Nous avons été réticents. »
Réticent est une formule à la Couve. « Je me demande s'il est vraiment opportun de... » Ou, avec la même suavité: « Je m'interroge sur l'utilité de... » ; jusqu'à ce qu'il finisse par lâcher: « La France ne souhaite pas que... »
Il s'y est donc opposé, mais « il reste la voie diplomatique, et personne ne s'en prive, même pas nous. On peut toujours discuter, en organisant des réunions avec la Grande-Bretagne.
GdG. — Non ! Non ! Non ! Il ne faut pas réintroduire les Anglais seuls dans le Marché commun! On peut avoir des discussions avec l'ensemble des membres de la petite zone de libre-échange, mais il n'y a aucune raison pour que l'Angleterre reste l'interlocuteur unique.
« Souvenez-vous que, dès les débuts de la négociation avec les Anglais, à l'automne dernier, il est devenu clair que les Anglais voulaient entrer coûte que coûte, mais à leurs conditions. Nous avons toujours dit que, si la Grande-Bretagne accepte le traité de Rome et toutes ses conséquences, nous ne nous opposerons pas à son entrée. »
Souvenez-vous : non seulement le Général a une mémoire d'éléphant, mais il nous oblige à l'avoir avec lui. Chaque problème qui nous paraît lié à l'actualité se situe, pour lui, dans la longue durée.
Il conclut: « Pour construire le Marché commun, les réalités sont incommodes et contradictoires. La question est de savoir si on arrivera à les concilier, surtout entre Français et Allemands. »
« Ils sont ivres de l'ONU, de l'OTAN, de l'intégration européenne »
Au Conseil du 19 juin 1963, Couve évoque un rapport publié par la commission des Affaires étrangères du Sénat américain. « Ce document demande: "Que va choisir l'Europe, entre la Communauté atlantique et l'Europe autarcique ?"Autrement dit, l'Europe sera-t-elle dans un ensemble commandé par les Américains, ou formera-t-elle elle-même un ensemble indépendant des États-Unis? Ce document pose bien le problème. Mais naturellement, ses conclusions ne sont pas les nôtres. Il compte sur "la résistance que les Allemands opposeront à l'Élysée ". Elle serait seule capable de "surmonter les difficultés que les États-Unis rencontrent en Europe du fait du hiatus gaulliste ". Quant au "veto français à l'entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun, c'était autant un soufflet sur la joue des États-Unis que sur celle de la Grande-Bretagne ".
GdG. — Il n'y a pas de doute. Le problème s'est déjà posé au moment de l'institution de l'OTAN. Il s'est posé aussi pour la CED. C'est ce que les Européens appellent " l' intégration européenne ",sans se préoccuper de savoir s'il y a une politique européenne. L'entrée des Anglais aurait évidemment anéanti cette Europe en train de se constituer de manière autonome.
« Le tout, pour que les États-Unis puissent mieux gouverner l'Europe. Dans ce cas, l'Europe disparaît, la France est abolie. Ceux qui ont renoncé à la France depuis longtemps, cherchent une situation qui noie la France dans des systèmes politiques où la France n'existerait pas. C'est pourquoi ils sont ivres de l'ONU, de l'OTAN, de "l'intégration européenne". Ils se ruent pour faire entrer la Grande-Bretagne, alors qu'ils savent qu'il n'y aura pas d'intégration si l'Angleterre est dans l'Europe. Ça leur est égal. Leur instinct est que la France disparaisse.
« Mais ils se sont fait des illusions, ils ont commis une erreur sur
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