C'était de Gaulle - Tome II
paix, en contrepartie de ce qu'elle demande.
« Vous voulez empêcher l'Occident de prêter la main au salut des Soviets sans contrepartie »
GdG. — Je comprends parfaitement votre intention. Vous voulez empêcher l'Occident de prêter la main au salut des Soviets sans contrepartie. Mais s'il y a des contreparties ? Par exemple, certains milieux industriels allemands n'y sont-ils pas fortement intéressés ? Particulièrement ceux qui sont proches du parti de M. Erich Mende 2 ? »
Adenauer éclate de rire, de voir le Général tellement au fait de la vie politique allemande. Il répond qu' « en effet les grosses sociétés allemandes ont intérêt à prendre pied sur le marché soviétique. De même, nos agriculteurs allemands n' approuvent plus notre politique anti-soviétique, depuis que les Russes ont commandé 200 000 tonnes de farine à l'Allemagne. Mais l'opinion publique serait incontestablement de notre côté, si nous nous opposons à une telle expansion du commerce vers l'Est, qui reviendrait à nourrir un tigre pour qu'il nous dévore.
GdG. — Il existe de forts courants pour accorder ce concours aux Soviétiques. Les Anglais y sont disposés, les Japonais aussi. Les Américains partageront-ils votre opinion, ou se laisseront-ils guider par leur désir de faire des affaires ?
Adenauer. — Les pays de l'OTAN ne devraient accorder les fournitures demandées, que s'il y a un désarmement réel en Russie, si celle-ci est librement ouverte au tourisme et si (le Chancelierlaisse percer le bout de l'oreille) la discussion sur la réunification de l'Allemagne devient possible.
« Nous avons un intérêt commun à ce qu'il n'y ait pas d'aide directe des Américains aux Russes »
GdG (se gardant bien de répondre sur le dernier point évoqué). — Est-ce que l'OTAN est le bon cadre ? Il s'y trouve des pays qui ont une propension à concéder. La France, quant à elle, est prête à conjuguer sa politique dans ce domaine avec la République fédérale. Notre double exemple entraînerait d'autres pays.
Adenauer (conscient d'avoir agité le chiffon rouge en parlant de l'OTAN). — Il serait indispensable que Kennedy s'associe à la politique que nous entendons mener, quitte à ce qu'il en apparaisse comme l'initiateur.
GdG. — Nous avons un intérêt commun à ce qu'il n'y ait pas d'aide directe des Américains aux Russes, qui conduirait inévitablement au renforcement des Soviets contre l'Occident. Kennedy a déclaré hier : "Allons d'abord ensemble dans la lune, et puis faisons autre chose encore." De quoi s'agit-il ? C'est certainement le moment, pour la France et l'Allemagne, qui ont des raisons de se méfier, de veiller au grain. »
Le Chancelier, qui s'est naturellement aperçu que le sujet de la réunification est resté en l'air, le reprend, sur un ton préoccupé : « Les mains de l'Allemagne sont liées par le problème de la réunification. S'il n'a pas trouvé de solution d'ici à dix ans, il est à craindre que le nationalisme renaisse en Allemagne, ce que je voudrais éviter à tout prix. »
Sans lui répondre d'abord sur ce point, le Général reprend à son compte l' argumentation du Chancelier, mais pour la tirer vers une nouvelle dénonciation du condominium américano-soviétique, et pour ramener son interlocuteur à l'Europe européenne :
« Ces derniers temps, notre coopération n'a pas été très active »
GdG : « Les Russes ont d'énormes difficultés internes. Leur conflit avec la Chine se développe. Si les Anglo-Saxons continuent leurs négociations avec les Soviets, inévitablement ils feront un arrangement qui sera nuisible à l'Allemagne, donc à l'Europe. Il peut en résulter soit une résurgence d'un ultra-nationalisme allemand, soit une neutralisation de l'Allemagne, et par conséquent de l'Europe tout entière.
« Il est possible qu'un jour vienne, où l'on puisse faire la paix avec la Russie, et en particulier la paix européenne, où il n'y auraplus deux Allemagnes (voilà enfin sa réponse). Mais actuellement, la France ne veut participer, d'aucune manière, à ces négociations.
« Je souhaite, comme vous-même, que le traité d'amitié franco-allemand s'affirme. Ces derniers temps, notre coopération n'a pas été très active. Les Russes et les Américains ont signé l'accord de Moscou, auquel la France ne pouvait adhérer, car elle veut poursuivre ses essais nucléaires. Peut-être l'Allemagne fédérale aurait-elle pu ne pas y adhérer non plus, car,
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