C'était de Gaulle - Tome II
Cette idée lui paraît fumeuse. L'idée même d'un enseignement international de la diplomatie lui est étrangère. Au fond, il n'y a qu'une diplomatie qui l'intéresse — celle de la France. La conduire, oui ; l'enseigner, et surtout aux étrangers, ne le tente nullement.
« Je n'irai pas à l'ONU tant qu'elle n'appliquera pas sa charte »
Devant le médiocre accueil fait à cette suggestion, le Chancelier en avance une autre.
Adenauer : « Vous devriez aller à l'ONU, vous y auriez un grand succès.
GdG (froidement). — Non, n'y comptez pas.
Adenauer. — Vous devriez, tout le monde vous applaudirait.
GdG. — On m'applaudirait parce qu'on se dirait que de Gaulle se rend ! On applaudit toujours les gens qui se rendent. Ceux qui ne se rendent jamais sont mal vus.
Adenauer. — Vous aviez raison quand vous disiez que l'ONU ne peut plus servir à grand-chose. À mesure qu'elle grandit, elle perd de son importance. Eisenhower et Dulles me l'ont dit : "Nous avons fait une bêtise en faisant entrer les sous-développés. Bientôt il n'y en aura plus que pour eux." Les Américains s'en rendent compte maintenant.
GdG. — On n'applique pas la charte. Je ne suis pas contre l'ONU parce que c'est l'ONU. Je serais pour l'ONU si elle appliquait sa charte. Une Assemblée chaotique qui adopte des résolutions démagogiques, un secrétaire général qui entreprend des expéditions militaires en dehors du Conseil de sécurité, ce n'est pas conforme à la charte. Nous n'en voulons pas. Je n'irai pas à l'ONU tant qu'elle n'appliquera pas sa charte.
Adenauer. — En somme, vous voulez que ce soit elle qui se rende. »
Le Général rit ; c'est du plaisir de voir que la vieillesse n'ôte rien à l'esprit du Chancelier. Mais il demeure imperméable aux exhortations imaginatives de son hôte. Du coup, celui-ci se rabat sur un sujet déjà abordé l'après-midi.
Adenauer : « Vous avez vu la note que les Russes ont envoyée aux Chinois ?
GdG. — Oui, mais ce n'est qu'une note.
Adenauer. — On n'aurait jamais imaginé cela il y a quelque temps ! Vous, vous l'aviez prévu.
GdG. — Cela ne pouvait pas finir autrement, mais ils n'en sont pas encore à la bataille rangée.
Adenauer. — Le jour où cela ira vraiment mal entre eux, les troupes russes seront massées à l'Est, parce que les Chinois convoiteront la Sibérie, tandis que les Russes sauront bien que les Américains ne les menacent pas.
GdG. — Il faut quand même prévoir ce jour et il ne faut pas que l'Europe soit prise au dépourvu le jour où ça se produira. Ce jour-là, l'Union soviétique tombera en morceaux, et l'Europe pourra retrouver son unité, sa liberté, son indépendance. »
« Le dimanche, on allait à Fribourg en diligence »
On passe à table. Le Général approche le siège de Mme Reiners, à sa droite ; puis de ma femme, à sa gauche. Le Chancelier s'extasie sur les roses qui décorent la table et en fait le compliment à Mme de Gaulle.
La conversation se désertifie. Le Chancelier ignore le français et le Général refuse de parler l'allemand ; même s'il le comprend bien, me semble-t-il, il se fait traduire, peut-être pour se donner le temps de préparer ses réponses. Quand l'interprète Pierre Meyer est dépassé du fait des interférences de dialogues, Mme Reiners et moi nous employons péniblement à le seconder.
« Vous savez, dit-elle au Général en parlant de moi, il parle si bien allemand (elle ne se rend pas compte de ce que ce compliment absolument immérité a de désobligeant pour le Général).
GdG (agacé). — Hélas, je ne peux m'y remettre, à mon âge. J'aimerais bien le faire, mais plus j'avance en âge, plus mes possibilités se réduisent. »
Adenauer, s'étant fait traduire, intervient : « Vous préférez ne pas parler allemand, général. Pourtant, vous le connaissez très bien.
GdG. — Moi ? Je l'ai bien oublié.
Adenauer. — Mais comment avez-vous fait pour parler si bien en allemand lors de votre voyage en Allemagne ? Vous avez fait presque tous vos discours en allemand.
GdG. — Parbleu, c'est que je les avais appris par cœur ! J'avais écrit mes textes en français, je les ai fait traduire en allemand et j'avais répété plusieurs fois la traduction.
Adenauer. — Mais si ç'avait été de l'hébreu, vous n'auriez pas pu apprendre vos discours par cœur.
GdG. — J'avais beaucoup étudié l'allemand autrefois. Pendant plusieurs années, quand j'avais 13, 14, 15 ans, on m'avait envoyé dans
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