C'était de Gaulle - Tome II
de ses " compagnons ".)
Le Chancelier reprend l'idée d'un « Intervilles » franco-allemand : « Ce serait bien, me dit-il, si vous pouviez organiser ça. »
Le Général approuve chaleureusement :
« Oui, ce serait très bien, essayez d'y arriver 2 .
AP. — Vous êtes-vous bien reposé à Cadenabbia 3 , Monsieur le Chancelier fédéral ?
Adenauer. — Oui, je m'y trouve très bien. Il y a un grand parc et de grands arbres. J'y joue aux boules.
AR — Savez-vous que notre Premier ministre a appris de vous à jouer aux boules ?
Adenauer. — Pompidou ? Ah, je ne savais pas ! C'est un bon jeu, qui ne fatigue pas. Et puis, c'est très populaire. (Malicieux.) En démocratie, un homme politique a toujours intérêt à faire ce qui est populaire. »
Peut-être le château-latour 1955 va-t-il animer davantage la table. En attendant, il faut encore plonger. Ma femme se lance à son tour : « Combien avez-vous de petits-enfants, Monsieur le Chancelier ?
Mme Reiners. — Oh, ne lui demandez pas ça, il ne le sait sûrement pas !
Adenauer. — Bien sûr que si, j'en ai vingt-trois.
Mme Reiners (admirative). — Oh, et moi je ne le savais même pas. Vous savez, mon père aime bien ses petits-enfants, mais il ne veut pas trop les avoir dans les jambes.
GdG (avec un bon rire). — Une fois par an, autour d'un gâteau à bougies, tous ensemble, cela suffit bien et qu'on n'en parle plus. C'est la meilleure méthode !
(Elle ne s'applique évidemment pas à lui, qui n'en a que cinq et qui ne se contente pas d'un gâteau à bougies par an, mais goûte auprès d'eux des moments privilégiés de détente.)
AP. — Avez-vous une idée, mon général, sur ce que vos petits-enfants comptent faire dans la vie ?
GdG. — Il y en a un qui sait très bien ce qu'il veut faire. C'est Charles, l'aîné, fils de Philippe. Il veut être empereur ; en dessous, ça ne l'intéresse pas. »
« Je comprends votre allemand; je ne comprends pas l'allemand des Allemands »
Le maître d'hôtel verse dans nos flûtes du champagne Lanson 1953. Le Général ne se fatigue toujours pas pour alimenter la conversation. Il faut de nouveau se dévouer :
«Monsieur le Chancelier, votre passion pour la culture des rosiers de Rhöndorf est célèbre en France.
Adenauer. — Je n'en ai jamais cultivé un seul de ma vie. C'est une légende, mais il est vrai que j'aime bien qu'on me les cultive.
Mme Reiners. — Elles ont eu au moins un avantage, c'est de permettre au Général et à vous-même de faire un assaut de discours sur le thème des roses.
GdG. — Vous aviez fait votre discours d'accueil à Bonn sur le thème des roses ; alors il fallait bien que je vous réponde. » (Le Général fait semblant d'oublier que c'était lui qui avait commencé à Paris, et sur un mode plus mélancolique que lyrique.)
Nous nous levons. Pendant que les dames s'éloignent, le Général me dit, cruel : « Je ne comprends pas l'allemand des Allemands, mais je comprends le vôtre. »
« C'est bien du Malraux »
Après le café, nous avons droit à une séance de cinéma, dans un salon où l'on a installé l'écran. D'abord, le reportage des « Actualités françaises » sur la visite d'État du Chancelier en juillet 1962 (Galichon me murmure à l'oreille : « On a fait de sérieuses coupures : les rues vides et les banderoles hostiles, notamment à Reims »). Ensuite, un court métrage, recommandé par Malraux — La petite cuillère — une cuillère à fard égyptienne, qu'on a mise en scène comme un véritable personnage — une femme nue, allongée, filmée sous tous les angles comme une baigneuse, fait le tour d'un aquarium. Le Chancelier ne desserre pas les dents.
GdG : « C'est un peu long ! Enfin, c'est bien du Malraux ! C'est bon pour son musée imaginaire. » (Visiblement, le Général préfère « Intervilles ».)
Enfin, Le voyage en ballon d'Albert Lamorisse. Ce n'est pas la plus mauvaise façon de présenter à des étrangers la France, ses paysages, ses principaux monuments — une pérégrination patriotique. Le Chancelier a l'air d'apprécier.
Quand il se retire, le Général nous garde quelques minutes : « Cet homme est un miracle. Avoir cette lucidité, cette présence à 88 ans, et avoir pu exercer ses fonctions pendant quatorze ans sans baisse de régime, c'est sans doute un phénomène unique dans l'Histoire. »
Tout en se donnant peu de mal pour animer la conversation, le Général n'a cessé de couver littéralement Adenauer du
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