C'était de Gaulle - Tome II
politique des deux hégémonies, où les Russes et les Américains sont virtuellement d'accord contre nous ; et nous n'y réussissons pas si mal.
« N'oubliez pas que les Russes, quelles que soient leurs raisons, ont tendance à diviser le monde en deux et à chercher le dialogue avec Washington. Nous les intéressons surtout dans la mesure où nous leur offrons une prise sur les Américains. Il ne faut pas nous laisser prendre dans ce jeu. Nous risquerions de passer de l'orbite américaine à l'orbite soviétique. Il faut garder nos distances. Ne nous présentons pas en quémandeurs. Faisons-nous désirer. »
« On ne peut pas troquer la télévision en couleurs contre la reconnaissance de l'Allemagne de l'Est »
Salon doré, mardi 12 janvier.
Retour de Moscou, où Kossyguine m'a reçu à sa demande, je viens rendre compte au Général. Après m'avoir longuement interrogé sur l'effet de nos démonstrations techniques 2 , il me dit :
GdG : « Et sur la situation générale, il s'est un peu expliqué, Kossyguine ? Qu'est-ce qu'il veut exactement ?
AP. — Il dit que nous avons la même position sur beaucoup de problèmes, sur notre respect des frontières de l'Allemagne, sur notre désir de ne pas voir se construire la Force multilatérale, sur le Laos, sur le Vietnam. Alors, pourquoi ne pas en faire quelque chose de contractuel, pourquoi ne pas avoir des conversations régulières et organiques ? Voilà sa proposition.
GdG. — Il voudrait un accord politique entre la France et l'Union soviétique, signé à droite et à gauche, noir sur blanc ? Mais on en a fait un. Je l' ai fait avec Staline. Ils l' ont dénoncé. D' ailleurs, il concernait spécifiquement l'Allemagne.
AP. — Nous pourrions leur dire que nous sommes prêts à envisager une extension progressive de la coopération. Ils sont aussi bien disposés qu'on peut l'être, trop bien même. Par exemple, Zorine 3 m'a porté un toast à la coopération politique entre la France et la Russie. J'ai répondu prudemment que faire de la coopération culturelle et technique, ça avait déjà une importance politique. Il a repris : "Ça a déjà une importance politique, mais ça n'empêche pas de faire de la coopération politique proprement dite."
GdG. — Bien. Vous n'avez pas vu Brejnev ?
AP. — Non. Il ne voit aucun dirigeant occidental ; seulement les dirigeants des " pays frères " ou des " partis frères ". C'est leur répartition des tâches, entre chef de gouvernement et chef de parti. Je n'ai vu que des ministres, dont Roudniev, vice-président du Conseil.
GdG. — Il est évident qu'ils veulent nous entraîner le plus loin possible sur leur chemin. Il faut savoir quel prix nous voudrons payer tout ça. On ne peut pas troquer la télévision en couleurs contre la reconnaissance de l'Allemagne de l'Est ! (Rire.)
« Maintenant, les Russes nous courtisent »
« Dans vos conversations, quels sont les facteurs qui vous ont paru porter ?
AP. — D'abord, le fait que le procédé SECAM n'est plus l'affaired'une société privée, mais que le gouvernement français a décidé de mettre son autorité dans la balance. Ensuite, l'argument de l'indépendance européenne vis-à-vis des États-Unis.
GdG. — Ils veulent montrer que nous prenons une direction analogue. Il n'y a rien de tel que d'être indépendant, voyez-vous. Il y a encore quelques années, les Russes nous dénonçaient comme colonialistes, valets de l'impérialisme et du capitalisme. Maintenant, ils nous font la cour, ils ont envie qu'eux et nous allions dans le même sens.
« Les Russes sont embarrassés pour engager le dialogue avec les États-Unis, parce qu'aussitôt les Chinois montrent les dents. Tandis que nous, nous ne gênons personne, personne ne nous rejette depuis que nous avons décolonisé.
« Nous touchons les dividendes de notre indépendance »
« Il y a des gens à Paris, parmi les journalistes et même au Quai d'Orsay, dont les positions ne varieront jamais. Ils n'ont aucune mobilité dans l'esprit. Pour eux, les Russes ne songent qu'à nous manœuvrer, de manière à nous arracher au bloc occidental et à pouvoir engager la conversation avec les Américains après les avoir affaiblis. Je crois que ces gens ne tiennent pas compte des réalités nouvelles. Nous sommes détenteurs d'un capital précieux, qui est notre souveraineté recouvrée. Alors, on nous demande.
« Il est possible que la France soit pour les Russes, avant tout, un moyen pour arriver à un
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