C'était de Gaulle - Tome II
accord avec les États-Unis. Car évidemment, ce qui les intéresserait le plus, ce ne serait pas de faire un arrangement avec les Français, mais avec les Américains, un arrangement mondial, pour arriver à une détente généralisée. Mais il est vraisemblable aussi que les Russes sont obligés de tenir compte du fait que notre prestige est considérable chez tous leurs satellites et dans tout le tiers-monde, notamment chez les Chinois. Nous sommes le seul pays occidental dont tout le monde veuille bien et qui ne compromette personne. Le jeu de la France s'est ouvert.
AP. — À propos de leurs satellites, ils m'ont dit : "Nous sommes sûrs que nos pays frères d'Europe orientale aimeraient mieux faire affaire avec la France qu'avec les États-Unis."
GdG. — Nous touchons là les dividendes de notre indépendance. Dans la mesure où l'idéologie s'atténue et où les nations reparaissent, la réalité européenne éternelle reparaît aussi. Et du même coup, une entente qui n'a pas toujours été évidente, mais qui était plus naturelle qu'aucune autre, entre la France et la Russie — je ne dis pas les Bolcheviks, je dis la Russie — reparaît également. Des deux côtés d'ailleurs : nous aussi, nous ne les voyons plus comme des gens avec le couteau entre les dents ; et ils n'osent même plus dire que nous sommes d'épouvantables capitalistes. Voilà ! »
Fascinante sinusoïde du propos. L'espoir d'une véritable ouverture est à portée de main. La méfiance est à fleur de peau. Il imagine la séduction, pour les Russes, de la carte française. Il redoute que la France ne soit qu'un pion avancé puis sacrifié pour un nouveau genre de Yalta.
« Un jour, ilfaudra que j'aille en Roumanie et en Pologne »
Conseil du 10 février 1965.
Giscard revient de signer un accord commercial en Roumanie. Il évoque l'équipe des dirigeants : Gheorghiu-Dej, le chef de l'État, Maurer, le Premier ministre, solidaires depuis au moins 1933, date du procès des dirigeants du Parti communiste roumain. « C'est plutôt un groupe d'hommes liés par une aventure très ancienne, que le résultat d'un mouvement de la société.
GdG. — Ils se sont battus dans la solitude et dans le risque. Ils n'ont eu toute leur vie qu'à choisir entre le pouvoir et la prison. Et ils ont choisi la prison, en sachant qu'ils n'avaient guère de chances de parvenir au pouvoir.
(Le Général admire toujours les hommes qui ont lutté pour ce qui ne pouvait pas être un calcul, mais seulement un idéal.)
Giscard. — Ils ont un sentiment national très vif : c'est l'essentiel de leur doctrine. Ils admirent votre politique d'indépendance. Vos conférences de presse sont lues et scrutées. Gheorghiu-Dej m'a fait l'exégèse de la dernière. Le désir de la Roumanie est de jouer à l'Est un rôle comparable à celui que nous jouons à l'Ouest, tout en reconnaissant que la taille des pays et des hommes n'est pas comparable.
« La politique des blocs est révolue. Au sein du camp de l'Est, nombreux sont ceux qui souhaitent voir apparaître des attitudes analogues à la vôtre dans le camp occidental. Mais les dirigeants roumains se sentent assez isolés.
« L'influence de la France en Roumanie tient à deux facteurs, la latinité et la stature du Président français, qui jouit d'un grand prestige. »
Le Général conclut par un inhabituel « Merci de votre intéressante communication ». Litote, conforme à son souci de modérer ses termes : ils sont presque toujours, en présence d'un groupe, nettement au-dessous de sa pensée — alors que parfois, en privé, ils en débordent.
Après le Conseil, le Général laisse parler devant moi l'espoir qu'il met dans ces mouvements nationaux : « Oui, la Roumanie n'est pas la Russie. Tôt ou tard, elle voudra son indépendance. C'est notre rôle d'encourager cette aspiration. L'Est bougera tôt ou tard. Il faut l'aider à bouger. Actuellement, personne ne peut le faireaussi bien que nous. La Roumanie a beaucoup d'affinités avec la France. Comme la Pologne. Un jour, il faudra que j'aille en Roumanie et en Pologne. »
« Peu à peu, l'Internationale devient le nationalisme »
Deux mois plus tard, Gheorghiu-Dej meurt et au Conseil du 31 mars 1965, Marette 4 rend compte de ses funérailles à Bucarest.
GdG : « Sentait-on la participation élémentaire du peuple ? Marette. — Une immense foule dans un grand recueillement. Il y avait une évidente communion avec l'homme qui incarnait
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