C'était de Gaulle - Tome II
soviétique.
AP : « Vous prenez très au sérieux les avances de Kossyguine ?
GdG. — Nous les accueillons avec sympathie. Nous avons beaucoup de choses en commun avec les Russes. C'est vrai depuis longtemps, depuis toujours. Ça avait cessé de l'être à cause de la menace soviétique. Ça le redevient, maintenant qu'ils ne sont plus en état de nous menacer.
« Mais il faut des preuves. La télévision en couleurs serait un test.
AP. — Vous croyez vraiment qu'il peut y avoir une coopération franco-soviétique ?
GdG. — Il y a un déclenchement, à l'heure actuelle. On le sent un peu partout. La guerre froide est périmée. On s'était installé dans la lutte entre le bloc occidental et le bloc oriental. Le bloc soviétique se défait. La Chine en est déjà bien loin. La Roumanie, la Pologne s'en détachent déjà. L'Union soviétique, elle-même, est en train de devenir autre chose.
« Quant au bloc occidental, il se désagrège aussi. La France a repris sa liberté. Elle est redevenue indépendante, comme elle ne l'avait pas été depuis bien longtemps. Nous ne nous conduisons plus comme un membre d'un peloton qui obéit au capitaine ! (Rire.) Ni comme le bon élève d'une classe sous la férule d'un professeur ! Nous ne nous sommes pas laissé paralyser par les accords de Berne, qui limitaient à cinq ans les crédits. Nous avons accordé aux Soviétiques la durée de prêt que nous avions décidée. Les Anglais l'avaient déjà fait, mais en se cachant. Nous l'avons fait carrément, à la française.
« Nous sommes en train de sortir des impasses. Avec le temps, ce mouvement se développera. La troisième guerre n'éclatant toujours pas et devenant de moins en moins vraisemblable, il serait aberrant qu'entre la France et la Russie, les rapports ne tendent pas à devenir ce qu'ils avaient toujours été. La décision funeste de Napoléon d'attaquer Alexandre I er est la plus lourde erreur qu'il ait commise. Rien ne l'y forçait. C'était contraire à nos intérêts, à nos traditions, à notre génie. C'est de la guerre entre Napoléon et les Russes que date notre décadence.
« Il est de l'intérêt de la France d'avoir de bons rapports avec la Russie. Ça a toujours été une bonne période de notre histoire, quand la France était en étroite relation avec les Russes.
AP. — Vous pensez que les Russes sont dans les mêmes dispositions ?
GdG. — Ils semblent aujourd'hui souhaiter s'arranger avec nous. L'intérêt français est de resserrer les liens avec eux. Il le faut. Sans rejeter bien sûr l' alliance américaine, pour le cas où la menace soviétique reprendrait.
AP. — Mais les Russes, quel intérêt ont-ils à s'entendre avec nous ?
« Il ne faut pas s'offrir ; il faut se faire courtiser »
GdG. — Le poids de la Chine se fait sentir de plus en plus lourdement pour eux. Ils ont six mille kilomètres de frontière à défendre de ce côté-là. Ils ne peuvent pas se permettre de se battre sur deux fronts. Ils ont un colosse sur le dos, qui peut devenir de plus en plus hostile, la Chine. Il faut donc qu'ils mettent un peu de liant avec l'Ouest. À cet égard, la France représente pour eux un atout de premier plan.
AP. — Il ne faut quand même pas laisser croire à un renversement des alliances ? La presse reprend toujours cette expression.
GdG. — Bien sûr que non ! Vous ne nous voyez pas demander l' alliance des Russes contre les Américains ! Il ne faut pas s' offrir: Il faut se faire courtiser.
« Oui, le bloc soviétique est bien dépassé et les Soviets en prennent bien conscience. Le Pacte atlantique aussi, sous sa forme actuelle, est dépassé et les Américains n'en prennent pas encore conscience. Il faut pourtant que tout ça se transforme. Nous devons nous y prêter. »
Le surlendemain, 6 janvier, après le Conseil des ministres, le Général revient plus prudemment sur les perspectives politiques que semblent ouvrir les discussions prochaines.
GdG (un peu rêveur) : « On va voir, avec cette affaire de la télévision en couleurs. Vous savez, il n'est pas exclu que l'attitude des Soviétiques à l'égard du monde occidental n' ait pas changé. Depuis la guerre, l'essentiel, pour eux, c'est d'obtenir un accord avec l'Amérique. Staline comme Khrouchtchev étaient hypnotisés par ce problème. Ils souhaitaient un partage du monde en deux zones d'influence. Il est possible qu'il en soit de même avec Kossyguine. C'est justement ce dont nous ne voulons pas, cette
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