C'était de Gaulle - Tome II
— à en faire les frais.
GdG (le coupe, ce qui est rare). — C'est comme s'il y avait deux hommes capables de traverser la Manche à la nage et les autres pas. Ceux qui ne sont pas capables d'une performance peuvent faire sans peine le sacrifice d'y renoncer, ça ne leur coûte rien. »
« Les Américains perdent les agréments de l'hégémonie, sans en perdre les charges »
Couve, après un silence (de surprise, ou de respect ?), reprend, comme s'il n'avait rien entendu : « Les conversations subséquentes (c'est son langage) entre Américains et Soviétiques accroissent le trouble dans une Allemagne qui n'en avait vraiment pas besoin, au moment du départ d'Adenauer. » Il montre l'absurdité d'une rivalité des États-Unis et de la France, qui contraindrait l'Allemagneà choisir entre l'amitié des États-Unis et celle de la France. Ce serait mauvais pour tout le monde. Puis il conclut :
« Dans l'ensemble, nos politiques nationales sont très différentes. Il faut qu'on s'y habitue. Pour notre programme atomique, on a cessé de vouloir nous faire changer d'avis. Pour l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, nos interlocuteurs se résignent à ce que la question ne se pose pas avant longtemps.
« Il convient de faire un long effort de "relations publiques", comme on dit, en évitant les changements brutaux (Couve hasarde une critique à peine voilée du style du Général). Il faudrait déployer un effort d'explication, pour que les Américains admettent qu'il y a une autre position que la leur.
« Face aux Anglo-Saxons, on est toujours en minorité »
GdG. — On ne voit pas trop ce que vous auriez pu faire ou dire d'autre.
« Pour les Américains, il est assez pénible d'être contraint à changer de position. L'hégémonie a des agréments et des charges. Ils sont en train de perdre les agréments, sans perdre les charges. Pour notre part, nous ne leur causons plus de charges, mais quelques désagréments ; leur hégémonie s'effiloche.
« Il n'y a de notre part aucun désir de jeter de l'huile sur le feu. Le jour où ils renonceront à leur hégémonie, les choses seront plus simples.
« Ils s'en prendraient volontiers à nous du fait que ça va mal. La Grande-Bretagne titube, l'Allemagne est incertaine, l'Italie ne sait pas où elle va. Tout cela est préoccupant pour les États-Unis — mais également pour nous.
« Une France qui se tient, qui est sortie du désarroi, ça devrait les réconforter, face aux spasmes qui agitent le monde. Encore faut-il qu'ils s'y habituent.
Pisani. — J'ai reçu la visite du nouveau conseiller économique de l'ambassade des États-Unis. Je crois qu'ils finissent par prendre leur parti de la politique agricole commune.
GdG. — Vous croyez ? J'en doute fort. (Pisani croyait aller dans son sens, en lui apportant l'exemple d'un succès, et le voici à contrepied.) Pourquoi disait-on que, si l'affaire de la politique agricole commune venait devant le GATT, ça ne pourrait pas nous gêner ? Dans cet organisme, États-Unis, Grande-Bretagne et Dominions sont toujours en majorité. Face aux Anglo-Saxons, on est toujours en minorité. »
« Les Américains finiront par se faire détester de tout le monde »
Salon doré, 6 novembre 1963, le Général me dit :
« Voyez, même à l'OTAN, que les Américains ont bâtie de leurs mains, qui est leur chose, vous avez vu ça ? Les parlementaires de l'OTAN déclarent que la Force multilatérale n'est qu'une vaste blague. La vérité, c'est que les Américains finiront par se faire détester par tout le monde. Même par leurs alliés les plus inconditionnels. La Force multilatérale, ce serait un trucage de plus. Tous les trucages qu'imaginent les Américains sont démentis par les événements. C'est de plus en plus vrai. Regardez leur soi-disant détente...
AP. — Que signifie, à votre avis, le fait que les Soviets se remettent à arrêter les convois américains vers Berlin ?
GdG. — Bien sûr, les Russes font la démonstration que la propagande américaine est mensongère, quand elle parle de "l'esprit de Moscou" et qu'elle veut faire croire qu'on a fait un grand pas vers la détente.
AP. — Don Cook, dans le Herald Tribune, se félicite de la solidarité qu'a montrée la France en envoyant un convoi vers Berlin.
GdG. — Solidarité ? C'est stupide ! Nous n'avons pas fait ça pour faire plaisir aux Américains ! La France n'admet pas que ses relations avec Berlin soient interrompues. Alors,
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