C'était de Gaulle - Tome II
nous avons décidé de faire passer un convoi, conformément au plan établi. Le convoi a foncé. Il est passé. Les Russes n'ont pas osé l'empêcher de passer. Il se trouve que ça a permis aux Américains de passer ensuite et que ça les a fait sortir de la situation ridicule où ils s'étaient mis eux-mêmes en se laissant intercepter. Mais ce n'est pas pour ça que nous l'avons fait !
« Voyez-vous, la France est un allié, mais un allié indépendant, farouchement décidé à n'obéir à aucun diktat, à aucune pression. Elle a des droits à proportion de ses devoirs et des devoirs envers ses alliés à proportion de leur attitude à son égard. Nous ne sommes pas des moutons. »
« Je dois une visite à Kennedy »
Salon doré, 20 novembre 1963.
AP : « Comptez-vous toujours aller en Amérique au début de 64 ?
GdG. — Oui. Je dois une visite à Kennedy. Il faut que je la lui rende.
AP. — Même si nos relations continuent à être tendues ?
GdG (avec un geste dédaigneux). — Nos relations ne sont pastendues ! Nous avons dit leur fait aux Américains. Maintenant, ils savent à quoi s'en tenir. Pourquoi voulez-vous que la situation soit tendue ? Parce qu'on dit la vérité aux gens ? Il faut oser regarder les Américains en face, ils finissent par s'y faire.
AP. — La crise, ce fut quand la France s'est dotée de sa force nucléaire et a refusé de la placer dans la Force multilatérale ?
GdG. — Oui. Mais maintenant, c'est un fait accompli, on ne pourra pas revenir là-dessus. La preuve a été faite que la France pouvait se doter d'une force nucléaire par elle-même, grâce à ses savants, à ses techniciens, à la situation de son économie, à son infrastructure industrielle, à ses prolongements outre-mer, alors que tout le monde en doutait. La preuve aussi a été faite que les Américains étaient impuissants à nous en empêcher, malgré les efforts énormes d'intimidation qu'ils ont déployés. Il faut bien que les Américains admettent qu'il y a une donnée tout à fait nouvelle dans la stratégie mondiale. Alors, maintenant, pourquoi ne voulez-vous pas qu'on cause ?
AP. — Mais vous ne pensez pas donner à ce voyage un caractère spectaculaire de visite d'État, avec mouvements de foule ?
GdG. — Ben non, au contraire ! La visite d'État, je l'ai faite en 60. Peut-être, il y aura la foule, parce que les Américains savent qu'il n'y a qu'un pays qui leur tient tête, tout en restant fidèle à l'amitié et à l'Alliance ; et on voudra voir le chef de ce pays... Ça sera fin février. »
Dans l'incertitude, très inhabituelle chez le Général, sur la forme que prendrait sa visite, faut-il chercher comme un pressentiment que la mort allait lui donner son visage tragique ?
1 Secrétaires d'État, respectivement, aux Affaires étrangères, à la Défense, au Commerce extérieur, au Trésor.
2 Barry Goldwater sera désigné comme candidat par la Convention républicaine de San Francisco, le 15 juillet 1964.
Chapitre 6
« LA BALLE A FAIT ÉCLATER LA BOÎTE CRÂNIENNE DE KENNEDY »
Vendredi soir, 22 novembre 1963. À peine avais-je, à 19 heures, inauguré la Télévision régionale de Strasbourg, que je monte dans le minable bimoteur du GLAM pour rejoindre Nice, où doivent se tenir demain et après-demain les assises de l'UNR 1 . Le pilote, qui a capté un message, hurle dans le casque : « Les aérodromes de l'OTAN en France et les couloirs aériens sont mis en alerte. » Puis les messages se succèdent : « Le Président des États-Unis aurait été transporté à l'hôpital... » « Il aurait été victime d'un attentat... » « On essaie de le sauver... » « Il est mort... » Ensuite, parviennent par saccades des détails sur l'attentat de Dallas.
Le Général me dira, le mercredi suivant: «On a voulu ménager les nerfs des Américains, on a fait croire qu'il allait s'en tirer, mais la balle a fait éclater sa boîte crânienne. »
Nous arrivons vers minuit dans l'hôtel où sont regroupés les caciques de l'UNR et les ministres qui en sont issus. Dans les salons, au bar, des groupes de trois ou quatre parlent à voix basse. Des journalistes américains pleurent. Une anxiété se peint sur les visages. Chacun y va de son hypothèse ou de son pronostic.
Nice, samedi matin 23 novembre.
De bonne heure, je téléphone à Burin 2 . Il m'annonce que le Général, en apprenant la nouvelle hier soir, a décidé aussitôt de se rendre à Washington pour les funérailles. «
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