C'était de Gaulle - Tome II
Surtout, ne le dites pas encore. Le déplacement du Général sera annoncé par communiqué, quand les Américains auront fait connaître leur agrément. »
Le communiqué tombe vers 11 heures : le Général arrivera à Washington demain dimanche, assistera aux funérailles lundi matin et rentrera lundi soir.
Avec son sens aigu du mouvement des âmes, le Général a-t-il deviné qu'il capterait l'émotion populaire en étant le premier à prendre position ? A-t-il voulu effacer par l'empressement de son hommage les froissements qu'il avait infligés à Kennedy ? Ou plutôt, manifester son respect à un homme d'Etat dont il appréciait le courage et l'audace ?
Le communiqué de l'Élysée a semé la panique dans les chancelleries. Comment la Reine et le Premier ministre de Grande-Bretagne, le Chancelier allemand, etc., feraient-ils moins que le Président de la République française ? Tous les chefs d'État et de gouvernement de la planète vont se précipiter sur ses pas.
La combinaison de notre Constitution et d'un homme d'exception donne à la France un atout que les autres pays, paralysés par leurs instances de concertation, ne possèdent pas : la rapidité de décision. Cet atout, le Général l'avait joué dans l'affaire des fusées soviétiques à Cuba, voici un an : il le joue encore pour honorer l'homme qu'il avait alors soutenu, le premier et le seul, au plus fort de la crise.
Il a, du même coup, créé, en fait de funérailles, une tradition qui n'avait pas de précédent : pour Adenauer, pour Churchill, pour Eisenhower, pour lui-même, pour Pompidou, pour Mitterrand, une centaine de souverains, de chefs d'État ou de gouvernement allaient prendre l'habitude de se déplacer.
« Comment ça a pu se faire comme ça ? »
Au Conseil du 27 novembre 1963, Couve s'arrache à son laconisme :
« Ce qui s'est passé à Dallas, on n'en sait ni les conditions ni la cause. Il y a des doutes sur l'enquête locale au Texas, sur l'arrestation d'un suspect déclaré coupable avant enquête, sur son assassinat en présence même de la police. On a aussitôt affirmé que l'enquête était close et que le problème était résolu. D'où un malaise : ce drame a révélé que la situation aux États-Unis est malsaine. Ce meurtre est sans doute lié au grand problème de la ségrégation raciale. (Couve détache les mots, lui qui parle d'ordinaire d'un ton monocorde.)
« Il entraîne un changement brutal dans la direction du pays le plus puissant du monde. Le pouvoir passe brusquement au successeur légal, qui n'en a pas l'expérience. Les perspectives de la réélection de Kennedy sont détruites.
« Le geste du général de Gaulle a eu un retentissement extraordinaire, du gouvernement au peuple. La terre entière a été représentée à un niveau très élevé, le Président de la République en ayant donné l'exemple. Au cours de la réception à la Maison-Blanche après les funérailles, il était le point de mire. On n'avait d'yeux que pour lui. Chacun souhaitait pouvoir lui dire un mot, lui serrer la main, lui être présenté. Une file d'attente spontanée s'est formée, comme si c'était lui qui recevait.
« Contact Johnson-général de Gaulle : entretien d'une demi-heure, le premier que Johnson ait eu depuis qu'il est Président.Bonne volonté, désir d'avoir des relations amicales. Ils ont parlé de la rencontre qui devait avoir lieu en février. Mais ce n'est plus une visite à rendre à Kennedy, c'est une réunion à organiser entre les deux Présidents. On a tiré sur ce point des conclusions précipitées.
GdG. — Tout ça est très dramatique et fort important pour ce qui s'ensuivra, aux États-Unis et dans le monde. J'ai eu l'impression que le peuple américain était très touché : à cause du caractère de cette mort, de la personne du disparu, qui était humainement populaire, de sa famille, de son environnement, de sa manière d'être... Il est troublé dans ses profondeurs.
«Il a des inquiétudes sur les conditions dans lesquelles cet événement s'est passé. Tout le monde se demande comment ça a pu se faire et, surtout, comment ça a pu se faire comme ça. On sent qu'il y a quelque chose qui ne va pas ; quelque chose qui doit être mis en ordre, et qui ne l'a pas été jusqu'à maintenant, sans qu'on s'en soit rendu compte. D'où un sentiment d'alarme discret chez beaucoup d'Américains.
(Le Général s'arrête un moment, comme si son propos était plein de sous-entendus. Les regards
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