C'était de Gaulle - Tome II
des ministres se croisent, interrogateurs.)
« Ne nous abandonnons pas à Washington ! »
« Il était nécessaire que le Président de la République française y fût. J'ai senti un concours de sympathie et de considération. (Il est beaucoup plus sobre que Couve : modestie oblige.)
« Mme Kennedy a eu beaucoup de courage et de dignité, à la hauteur des circonstances. Quant au Président Johnson, on ne peut pas savoir comment il sera. Il était au bout de la fatigue. Il s'était trouvé là au moment du drame. Depuis lors, il a été secoué sans arrêt par sa prise de fonctions, par les préparatifs de la cérémonie. Il a été obligé de suivre le cortège en voiture, alors que les autres allaient à pied. Et sa fatigue était visible au cours de la réception et de notre conversation.
« Il m'a accueilli en me disant : "C'était presque arrangé avec Kennedy pour février. Tout naturellement, ça doit se faire." Étant donné les circonstances, je n'ai pas dit non, mais je suis resté réservé sur le moment et sur le lieu. Dans son désir de faire aux journaux américains des communications agréables, il a été au-delà de ce que j'avais dit.
« Ce changement de personnes ne sera pas sans conséquences. Pour nous, la politique que nous menons est plus nécessaire que jamais. Ne nous abandonnons pas à Washington, c'est la tentation de la facilité ! Ça coûte moins cher que de rester soi-même. Mais ça n'est pas l'intérêt national, ni la vérité nationale. Ayons une politique à nous dans tous les domaines ! Il nous faut traiter d'égalà égal avec les États-Unis. Non pas d'égal à égal pour nos moyens, qui sont évidemment très inégaux, mais d'égal à égal en tant qu'ÉTATS souverains. »
« Fermez le ban », souffle Missoffe 3 .
« L'histoire de Kennedy, c'est la mienne »
Salon doré, après le Conseil.
AP : « Comment interprétez-vous cet assassinat ?
GdG. — Je n'ai qu'une intuition, et peut-être on ne saura jamais la vérité. Je m'en vais vous dire comment je ressens les choses. C'est bien simple : ce qui est arrivé à Kennedy, c'est ce qui a failli m'arriver. Son histoire, c'est la mienne. Le meurtre du Président des États-Unis à Dallas, c'est ce qui aurait pu se produire quand le Président de la République française se baladait à Alger ou Oran, en 60 ou 61. Ça a l'air d'être une histoire de cow-boys, mais ce n'est qu'une histoire d'OAS. La police est de mèche avec les ultras. Les ultras, en Amérique, c'est le Ku Klux Klan, la Birch Society 4 et toutes ces associations secrètes d'extrême droite. Et là-bas, leurs Arabes, ce sont les Noirs.
« N'en doutez pas, le conflit entre Noirs et Blancs est à l'origine de ce meurtre, soit directement parce que les ultras l'auront commandité, soit en tout cas indirectement, en créant un climat de violence, d'exaspération, un climat tel que la société n'obéit plus aux règles et aux lois. C'est l'histoire qui a failli nous arriver, si nous n'avions pas donné l'indépendance à l'Algérie. C'est l'histoire de races qui ne peuvent pas s'entendre, et dont chacune craint d'être dominée par l'autre.
AP. — Avec cette différence que vous aviez la solution de l'indépendance, que les Américains n'ont pas sur leur propre sol.
GdG. — Il faudra bien qu'ils donnent à leurs Noirs une véritable égalité. Sinon, ils seront pris dans un tourbillon de violences dont celle-ci n'est qu'une des premières.
AP. — Vous pensez vraiment que c'est la police qui a fait le coup ?
GdG. — Ou bien elle a fait le coup, ou bien elle l'a fait faire, ou bien elle l'a laissé faire. De toute façon, elle est dans le coup. Ça se passe toujours comme ça dans un pays où il y a des haines raciales, où il y a des oppresseurs et des opprimés, où les oppresseurs ont encore plus la trouille que les opprimés ; où la police, ou du moins certains de ses éléments, ne fait qu'un avec les oppresseurs. Ces éléments veulent s'imposer, veulent donner l'impression qu'ils représentent l'opinion publique et font des coups de main et descoups de force. Ils veulent exiger du Congrès le maintien de leurs privilèges et de leur supériorité pitoyable, de leur supériorité contredite par les réalités. C'est l'éternelle histoire. Ça a été l'histoire des États-Unis jusqu'à la guerre de Sécession. Ça a été notre histoire et, Dieu merci, ça a cessé de l'être. Mais ça risque de redevenir l'histoire des États-Unis. Leurs
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