C'était de Gaulle - Tome II
relativise : « Parce qu'il y a eu pendant dix minutes un incident sur des artichauts, on croit la France en révolution. Les forces de l'ordre ne rencontrent nulle part ces révolutionnaires. Quant au fond, il ne faut pas faire porter toutes les responsabilités sur l'État. Si nous voulons favoriser les conserveries de légumes et de fruits, les agriculteurs poussent des clameurs.
GdG. — Mais enfin, depuis le temps que les Bretons piaillent, pourquoi n'a-t-on pas organisé quelque chose ?
Pompidou. — Pour ce qui est de l'Algérie, elle achète son sucre en France, et nous en sommes bien contents. Pour les vins, on en importe des quantités modestes, et ce sont des vins faits par des propriétaires français.
Giscard. — On fait comme si cette agitation reflétait un mécontentement généralisé : or, on n'assiste qu'à l'exaspération d'intérêtsindividuels ; le niveau de vie moyen des viticulteurs qui protestent est le plus élevé.
GdG. — Comme celui des cadres, ou celui des pilotes d'Air France. Ils sont assurés: 1. de l'impunité; 2. des résultats.
Giscard. — Cela pose un problème d'ordre public et aussi le problème de la lenteur de la justice.
GdG. — On répand du vin dans les ruisseaux, personne n'est mis dans une camionnette de la gendarmerie. Les gardes mobiles regardent dignement ces désordres, sans intervenir. Ça encourage les agitateurs et les agités à aller de plus en plus loin. Des poursuites? On n'en parle jamais! Des sanctions contre les fonctionnaires défaillants? Jamais !
« L'opinion est automatiquement favorable à ceux qui revendiquent, si absurde que soit la revendication. L'information y est pour quelque chose (dit-il en se tournant vers moi). On essaie de faire croire que telle ou telle disposition qui est annoncée a été prise à cause des manifestations. C'est un encouragement à manifester.
Frey. — Tout ça est très exagéré par la presse.
GdG. — Oui, mais on ne le dit jamais. Il y a un consentement général à la pression des agitateurs sur l'opinion publique et de l'opinion publique sur les pouvoirs publics. Personne ne dit que les mineurs ont perdu deux mois de salaire à cause de leurs grèves et ont condamné leurs mines à dépérir. Personne ne dit que la plupart des agriculteurs de France savent qu'ils bénéficient des efforts que nous faisons pour eux et restent paisibles, tandis que ceux qui s'agitent sont une infime minorité.
«Tant qu'il n'y aura pas d'exemple, l'ordre public ne pourra pas être maintenu. Ça a toujours été comme ça et ça sera toujours comme ça. Il faut faire venir ces affaires tout de suite, et pas devant le tribunal local, qui sera enclin à l'indulgence. »
On sent le désarroi du Conseil devant cette agitation insaisissable.
« Ces revendeurs se transforment en prolétaires »
Conseil du mardi 23 juillet 1963.
Malgré les graves désordres qui ont eu lieu à Avignon les jours précédents, ou à cause d'eux, Pisani commence sa communication sur un ton serein: il a l'optimisme de l'organisateur qui voit ses « structures » se mettre en place.
Pisani : « Face à un accroissement prodigieux de la production agricole, le FORMA intervient très efficacement. Le problème des pommes de terre, des abricots et des tomates est réglé; celui du raisin de table va l'être. Les mécanismes sont rodés. »
Mais le Général l'interrompt : « Il reste un perpétuel sujet d'excitation : l'écart entre le prix payé à l'agriculteur et le prix payé parle consommateur. Supposons un million de kilos d'abricots vendus par jour avec 30 francs 1 de différence pour le détaillant. Cela fait 30 millions de francs d'abricots par jour dans la caisse des revendeurs. S'il y a 100 000 épiciers, cela fait 300 francs pour chacun, ce qui n'est pas excessif. Il y a quelque chose d'anachronique dans cette situation, qui a tendance à s'aggraver. Petit à petit, ces revendeurs se transforment en prolétaires ! Je ne sais pas comment en venir à bout. »
Le Général a pris son monde par surprise. Sa petite démonstration en forme de problème de robinets est suivie avec amusement. Mais c'est une condamnation du petit commerce d'alimentation, acculé soit à la misère, soit à créer de la « vie chère », et qui aboutit aux deux résultats à la fois. Pompidou a bien perçu l'enjeu.
Pompidou : « Les choses ne sont pas si simples qu'il y paraît. Il ne faut pas lutter contre les commerçants de proximité. La ménagère ne
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