C'était de Gaulle - Tome II
Français propriétaire en Algérie. J'en dirai autant pour le Maroc et la Tunisie ; et pourtant, il n'y a pas eu de guerre ; mais l'aboutissement sera forcément le même.
« Le pétrole est important, matériellement et financièrement. Il ne faut pas nous laisser faire. Notre aide en dépendra. N'attachez donc pas une importance extrême à l'Algérie, qui n'en a plus ! Nous avons voulu nous dégager. Nous voilà dégagés. Les Algériens ne le sont pas, les malheureux ! Ils ne sont pas sortis de l'auberge. Nous, si, heureusement. »
À la sortie, plusieurs ministres font des commentaires malicieux sur l'extrême patience du Général. « Il ne veut pas reconnaître l'échec de la politique d'Évian. » « Du moment que ça va au Sahara, il se soucie peu que ça aille mal en Algérie. » « Cette méthode Coué lui a toujours réussi, il aurait tort d'en changer. » « Que ça réussisse ou non, l'échec ne peut pas l'atteindre. »
« Au lieu de nous faire la guerre, les Arabes vont se faire la guerre entre eux »
À l'issue du Conseil, le Général me donne pour la presse des indications édulcorées. Puis, il me dit franchement :
« Tout ça était inévitable. L'essentiel, c'est que ce sont eux qui ont à faire face à la rébellion des Kabyles, au maintien de l'ordre, à la cohésion nationale. S'ils s'entre-tuent, ce n'est plus notre affaire. Nous en sommes dé-bar-ras-sés, vous m'entendez ? Les Arabes, les Kabyles, c'est une population fondamentalement anarchique, que personne ne contrôle et qui ne se contrôle pas elle-même.Au lieu de se réunir tous pour nous faire la guerre, ils vont se faire la guerre entre eux. »
Après le Conseil du 30 octobre 1963, le Général me dit : « Voyez-vous, la politique d'Évian, il n'y a que moi qui la veuille !
« Les Algériens prétendent que leur signature leur a été arrachée, du fait qu'ils n'avaient pas la capacité de refuser la paix que nous leur offrions. Maintenant que la plupart des Européens sont partis, ils veulent tout renégocier. Eh bien, non ! Nous les forcerons à respecter leurs engagements !
« Et les Français aussi ne voudraient plus des accords d'Évian, après les avoir approuvés à 93 %. Ils sont favorables au Maroc et à la Tunisie, à toutes les anciennes colonies qui se sont détachées de nous en douceur. Ils détestent les Algériens, parce que les Algériens nous ont fait la guerre et que l'arrachement s'est fait dans la douleur. Mais ils devraient comprendre que la victoire que nous avons remportée sur nous-mêmes est notre meilleur atout dans le monde. »
Victoire sur nous-mêmes ; voilà qu'il reprend la formule de Debré lors de la signature d'Evian — après l'avoir récusée.
« Une révolution, c'est un cerceau qui tombe s'il ne roule pas »
À la suite du Conseil du 6 novembre 1963 , je demande au Général : « Qu'est-il ressorti de votre entretien avec Boumaza 5 ? C'était la première fois que vous receviez un ministre algérien depuis l'indépendance.
GdG. — Il faut bien commencer un jour. Je lui ai dit carrément que nous souhaitions qu'il y ait en Algérie un ordre public et un État algérien, et que, sans l'aide de la France, il n'y aurait en Algérie ni ordre public ni Etat.
AP. — N'est-ce pas curieux que nous, pays capitaliste, nous financions une révolution tout aussi socialiste que celle de Cuba ?
GdG. — Et après ? Leur soi-disant socialisme, je m'en bats l'œil. Qu'ils s'organisent comme ils l'entendent. C'est justement pourquoi nous leur avons donné l'indépendance. Mais nous ne pouvons admettre que nos compatriotes soient victimes de leur politique.
« J'ai dit à Boumaza : "Qu'on ne s'imagine pas qu'on va pouvoir nous faire chanter ; nous ferons une reconversion pour l'atome dans le Pacifique. Et nous pourrions en faire autant pour le pétrole auprès d'autres pays producteurs."
« Bourguiba et Hassan, eux aussi, font des nationalisations. Quand on parle d'une différence d'idéologie, c'est de la rigolade. "Ben Bella socialiste" d'un côté, "Hassan II autocrate" de l'autre, ça n'existe pas ! Ils sont tous condamnés à être plus ou moins socialistes. Ils sont tous condamnés à être plus ou moins autocrates. La différence n'est que dans le rythme.
AP. — Mais cette précipitation...
GdG. — Elle vient de deux choses. D'abord, ils ont attendu huit ans. Ils ont fait des rêves. Ils voudraient que ces rêves deviennent réalité. Une révolution, c'est un cerceau qui tombe
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