C'était de Gaulle - Tome II
positions respectives.
AP. — Le franc et le mark pourraient devenir monnaies de réserve ?
GdG. — Les monnaies de réserve, ça suffit comme ça ! On ne va pas encore en inventer d'autre ! Il y a l'or. Le reste, c'est des histoires, c'est fait pour nous couillonner.
AP. — Petit à petit, les Américains reconnaissent que le système actuel n'est pas satisfaisant.
GdG. — Pour eux, il n'est plus satisfaisant du tout, puisqu'il a pour effet qu'ils perdent leur or !
AP. — Nous allons continuer à changer nos dollars en or ?
GdG. — Bien sûr ! Il n'y a pas de raison que ça s'arrête. Les Hollandais et les Suisses en font autant. Puis d'autres suivront. C'est pour ça que le dollar finira par décrocher.
AP. — Quand même, les Américains ont un peu rétabli leur balance des paiements.
GdG. — Ils l'ont rétablie pour un mois ; c'est peu, après des années d'insouciance. Ils sont en pleine inflation. Alors, ils fabriquent des dollars à la planche à billets, ils les exportent, les gogos les prennent comme si c'était de l'or ; c'est très commode pour les Américains. Comment voulez-vous qu'ils renoncent à exporter des capitaux ? Il faudrait qu'ils cessent de les créer ! »
Le Général surestimait quelquefois les difficultés des autres. En tout cas, il sous-estima sûrement la capacité politique de Washington de faire pression sur ses créanciers pour qu'ils ne présentent pas leurs créances. L'exemple français ne fut guère suivi. Et quand il le fut, plus tard, devant l'ampleur prise par la dette américaine, et que la situation fut devenue intenable, Nixon imposa en 1971 son coup de force monétaire : en découplant le dollar et l'or, il allégeait brutalement le fardeau de la dette extérieure américaine. Le Général, en un sens, avait gagné : il avait tué le Gold Exchange Standard. Mais, en un autre sens, il avait perdu : Nixon s'acharna à interdire tout retour à l'étalon-or. Mais ceci est une autre histoire...
1 Cf. tome I, p. 128 sq.
2 Le dollar et la livre sterling.
3 La livre sterling tiendra encore trois ans, jusqu'en novembre 1967.
4 Inspecteur général des finances, économiste célèbre, chancelier de l'Institut, conseiller financier privé du Général.
Chapitre 14
«IL FAUT COMMÉMORER LA FRANCE, ET NON LES ANGLO-SAXONS »
En nommant Jean Sainteny ministre des Anciens combattants en décembre 1962, le Général lui avait demandé de consacrer son énergie à l'année 1964. Elle était propice à raviver le souvenir de deux années glorieuses : cinquantenaire de 1914 et vingtième anniversaire de 1944.
À la fin du Conseil du 30 octobre 1963, où Sainteny a évoqué les cérémonies prévues pour la commémoration de la Libération, Pompidou me prend à part : « Tâchez de faire revenir le Général sur son refus d'aller sur les plages de Normandie... » Je suis stupéfait et de l'information et de la demande. «Enfin, reprend Pompidou, prenez des précautions... Je m'y suis cassé les dents. »
Sainteny m'apprend ensuite qu'il se les était déjà lui-même cassées. Naturellement, je vais me les casser aussi.
« La France a été traitée comme un paillasson »
Salon doré.
AP (l'air candide) : « Croyez-vous, mon général, que les Français comprendront que vous ne soyez pas présent aux cérémonies de Normandie ?
GdG (sévèrement). — C'est Pompidou qui vous a demandé de revenir à la charge ? (Je ne cille pas.) Eh bien, non ! Ma décision est prise ! La France a été traitée comme un paillasson ! Churchill m'a convoqué d'Alger à Londres, le 4 juin. Il m'a fait venir dans un train où il avait établi son quartier général, comme un châtelain sonne son maître d'hôtel. Et il m'a annoncé le débarquement, sans qu'aucune unité française ait été prévue pour y participer. Nous nous sommes affrontés rudement. Je lui ai reproché de se mettre aux ordres de Roosevelt, au lieu de lui imposer une volonté européenne (il appuie). Il m'a crié de toute la force de ses poumons : "De Gaulle, dites-vous bien que quand j'aurai à choisir entre vous et Roosevelt, je préférerai toujours Roosevelt ! Quand nous aurons à choisir entre les Français et les Américains, nous préférerons toujours les Américains ! Quand nous aurons à choisir entre le continent et le grand large, nous choisirons toujours le grand large !" (Il me l'a déjà dit. Ce souvenir est indélébile.)
« Le débarquement du 6 juin, ç'a été l'affaire des Anglo-Saxons,
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