C'était de Gaulle - Tome II
passée sans eux. Elle s'est passée d'eux. »
Et lui, il a dû se battre pour que le débarquement ne se passe pas complètement de la France Libre. S'il a prononcé son discours de Bayeux le 16 juin 1946, ce ne fut pas pour commémorer le débarquement du 6 juin, mais son débarquement sur les talons des Américains, le 16 juin 1944 à Bayeux.
Il recule son fauteuil, cale son dos. Il a envie de parler.
« Les Américains ne se souciaient pas plus de délivrer la France, que les Russes de libérer la Pologne »
GdG : « Vous croyez que les Américains et les Anglais ont débarqué en Normandie pour nous faire plaisir? Ce qu'ils voulaient, c'était glisser vers le nord le long de la mer, pour détruire les bases des V1 et des V2, prendre Anvers et, de là, donner l'assaut à l'Allemagne. Paris et la France ne les intéressaient pas. Leur stratégie, c'était d'atteindre la Ruhr, qui était l'arsenal, et de ne pas perdre un jour en chemin.
« Churchill avait demandé à Eisenhower d'essayer de libérer Paris pour Noël. Il lui avait dit : "Personne ne pourra vous en demander davantage." Eh bien si, nous étions décidés à demander davantage ! Le peuple de Paris s'est soulevé spontanément et il aurait été probablement écrasé sous les décombres, comme le peuple de Varsovie, s'il n'avait pas été soutenu. Mais il y avait des hommes qui, trois ans plus tôt, à Koufra 4 , s'étaient juré de libérer Paris, puis Strasbourg. Ce sont eux qui ont libéré Paris avec son peuple.
« Mais nous n'avions pas l'accord des Américains. Quand j'ai vu que l'insurrection parisienne allait être écrasée par une division allemande intacte qui arrivait de Boulogne-sur-mer, j'ai donné l'ordre à Leclerc de foncer. C'est ainsi que nous avons évité à Paris le sort de Varsovie. Nous avons obligé les Anglo-Saxons à changer de stratégie. Les Américains ne se souciaient pas plus de libérer la France que les Russes de libérer la Pologne. Ce qu'ils voulaient, c'était en finir avec Hitler, en essuyant le moins de pertes possible. Ce qu'ils voulaient épargner, c'était le sang des boys, ce n'était pas le sang, les souffrances et l'honneur des Français.
« Effectivement, si les Anglo-Saxons avaient pu mener leur stratégie jusqu'au bout, ils auraient peut-être réussi à frapper l'Allemagne au cœur plus vite. De toute façon, Hitler aurait fini par être battu, et la France aurait fini par être libérée. Mais si les Français étaient restés passifs, si nous n'avions pas eu de part à la défaite d'Hitler, c'est au bout du compte lui qui aurait vaincu la France. »
Au Conseil du 14 août 1964, Jean Sainteny donne le calendrier des manifestations anniversaires de la libération de Paris : le 25 août, le Général se rendra à la gare Montparnasse, à la Préfecture de Police, à l'Hôtel de Ville où il prononcera un discours.
GdG : « Discours, oui, mais pas de balcon ! Une fois, ça a suffi ! Un podium sur le perron ! »
A-t-il gardé un mauvais souvenir de la scène du balcon, où Bidault et le Conseil national de la Résistance avaient essayé — en vain — de lui faire proclamer la République ? Ou bien, par souci d'authenticité, ne veut-il pas que l'on procède à une fausse reconstitution, de même qu'il a toujours refusé de répéter son appel du 18 Juin, dont on n'avait pas gardé d'enregistrement 5 ?
Il n'aime pas qu'on lui force la main. Et il n'aime pas qu'on semble faire de lui le parrain de la République. La République n'est pas au-dessus de la France et de l'État. Elle n'est qu'une de leurs incarnations à travers le temps. Il l'a emportée avec lui à Londres, en même temps que l'État et que la France. Il n'allait tout de même pas, le 25 août 1944, se proclamer... lui-même.
« La Libération, c'est l'affaire de la France »
Le 26 août 1964, Sainteny reçoit de vifs compliments.
GdG : « Vos fêtes étaient bien organisées. Tout s'est bien passé. On est un peu surpris de la coïncidence de grandes réjouissances avec l'anniversaire de combats sanglants. Mais ce n'est pas inutile. C'est un rappel profitable pour l'esprit public. »
Rappel, comme on le dit d'un vaccin ? Il doit penser surtout au rappel de l'Histoire, donné par ceux qui l'ont faite à ceux qui ne l'ont pas connue.
Il assortit les compliments de quelques piques : « Ne vous laissez pas embarquer par les associations ! Voilà qu'on a émis un timbre pour les orphelins de la 2 e DB ! Mais ils ont trente ans,
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