C'était le XXe siècle T.1
soigneusement remisé dans le garage de Clichy.
Comment douter ?
Quand on soulignait à Landru que tout démontrait qu’il avait « supprimé » en même temps Mme Cuchet et son fils, il répondait avec un flegme superbe :
— Montrez-moi leurs cadavres !
Le 16 mars 1915, Landru fait insérer dans un journal de Paris une nouvelle annonce matrimoniale. Il recrute. Une preuve de plus que les Cuchet ont à jamais disparu. Pour la nouvelle opération qu’il médite, il a fallu que la villa de Vernouillet soit devenue « libre ».
Chaque annonce matrimoniale insérée par Landru déclenche un grand nombre de réponses. À toutes les femmes qui lui ont écrit, il adresse la même lettre : « Je voudrais un amour véritable, des sentiments qui puissent assurer un bonheur durable. Je suis assez indépendant pour vous déclarer tout de suite que, de mon côté, les conditions d’avoir financier n’entreront en rien dans le choix d’une épouse. »
Deux éventualités : ou bien la suite de la correspondance démontrait que l’intéressée ne possédait aucun bien et Landru « laissait tomber ». Ou bien la piste méritait d’être suivie et Landru rédigeait une deuxième missive : « Ce n’est pas sans une certaine confusion que je réponds à votre bonne lettre et à la délicate pensée que vous avez eue de m’envoyer votre photographie… Partout où j’aurai l’honneur de vous rencontrer, je reconnaîtrai entre mille votre silhouette élégante, votre grâce… Moi, depuis longtemps, je n’ai pas eu l’occasion de me présenter devant un objectif. »
Rien n’est laissé au hasard. Les archives de Landru révéleront tout un classement : « Répondre poste restante. – En réserve. – Archives. – À répondre de suite. – Sans réponse P.R. ( sans doute petits revenus ). — Soupçons de F. – Sans F. – R.A.F. ( soupçons de fortune, sans fortune, rien à faire ). – Sans suite. — Enregistrer simplement. »
Chaque candidate a droit à une fiche : Mme A…, brune, boulotte, légale, rigide ; Mme B… , a un fox en panier ; vulgaire, voix éraillée ; Mme Q… , rue Lebouteux. Appartement moderne. Un peu bouffie. Peu causante .
Reconnaissons-le, Landru se donne un mal fou. Comme il note le moindre détail, nous pouvons le découvrir sur le sentier de la guerre : « 9 h 30, tabac gare de Lyon, Mlle Lydie ; 10 h 30, café place Saint-Georges, Mme B. ; 11 h 30, métro Lancry, Mlle L. ; 2 h 30, Concorde, nord-sud, Mme L., du 15 e ; 3 h 30, square tour Saint-Jacques, Mme D. ; 5 h 30, Mme V. ; 8 h, Saint-Lazare, Mme L. » On remarquera qu’il a pris le temps de déjeuner.
Quand on lui fera observer que ses archives démontrent qu’il s’est « fiancé » à deux cent quatre-vingt-trois femmes, il s’exclamera :
— Et je n’en aurais tué que dix ? Comme vous êtes indulgent !
Que peut vouloir dire le mot Brésil inscrit au carnet de Landru ? On a naturellement posé la question à l’intéressé qui a refusé de répondre, tout en ajoutant :
— Rien ne peut faire supposer que j’aie voulu désigner une personne par cette indication conventionnelle.
On a beau fouiller les fameuses archives, aucune lumière ne surgit à l’horizon. Le brigadier principal Riboulet repérera enfin dans le monceau de papiers examinés par lui, un acte de mariage, celui de M. Laborde-Line avec une dame Turan, née le 12 août 1868 à Chasconus, province de Buenos Aires. C’est sur ce dernier nom que le brigadier principal Riboulet est tombé en arrêt. Partant du fait bien établi que les Français ignorent la géographie, et singulièrement celle de l’Amérique du Sud, Riboulet s’est demandé si Landru n’avait pas tout simplement placé Buenos Aires au Brésil. Dans ce cas, Brésil pourrait désigner Mme Laborde-Line. Le brigadier avait raison.
Séparée de son mari, aubergiste à Oloron-Sainte-Marie, dont ensuite elle est devenue veuve, Mme Laborde-Line a suivi son fils à Paris. Celui-ci étant parti pour Nancy, elle est restée seule dans la capitale, à la recherche d’un travail. C’est alors qu’elle fait la connaissance de Landru. Elle a quarante-sept ans. Sous l’épaisse masse de cheveux sombres qui lui couvrent le front, elle n’est pas laide. Les choses vont vite. Deux mois plus tard, Mme Laborde-Line annonce à son entourage qu’elle va épouser le monsieur barbu qui vient la voir.
En attendant le
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