C'était le XXe siècle T.1
aigrefin et elle peut s’estimer heureuse que l’aventure n’ait pas été plus loin. Mme Cuchet jure ses grands dieux qu’elle ne pensera plus jamais à l’odieux personnage. Serment d’amoureuse. Elle l’aime toujours. À ce point qu’elle ne peut s’empêcher d’aller rôder auprès du domicile dont la cantine lui a révélé l’adresse : à Malakoff. Landru, qui y revient de temps à autre, l’apprendra. Il court à La Chaussée, voit la cantine fracturée, comprend que Jeanne sait tout. En un instant, il met au point un nouveau plan. Rien ne prend Landru au dépourvu. Jamais.
Sourire aux lèvres, enjôleur et contrit, il se présente au domicile de sa maîtresse qui croit s’évanouir en le revoyant. Elle veut le chasser. Avec tous les accents de la sincérité, il la supplie de l’entendre. Elle faiblit.
Il jure qu’il ne mérite pas l’opprobre qu’elle lui a voué. C’est pour régler sa situation militaire qu’il a dû disparaître au premier jour de la guerre. S’il ne lui a pas dit qu’il était marié, c’est parce que bientôt il ne le sera plus, étant en instance de divorce. D’ailleurs, un premier jugement lui a confié la garde de ses deux filles.
Jeanne repousse encore son amant. Comme elle voudrait le croire ! Un matin, il paraît escorté de deux petites filles, âgées de dix à onze ans, ses enfants bien-aimées. Il explique :
— Ces chères petites sont élevées dans un pensionnat belge !
À l’instant même toutes les résolutions de Jeanne cèdent. Or il ne s’agissait pas des filles de Landru, déjà adolescentes à l’époque. Où avait-il « emprunté » ces fillettes ? Mystère.
Peu importe, puisque le but est atteint. Jeanne Cuchet, bouleversée, tombe dans les bras de Landru, lequel fait tant et si bien qu’il parvient même à brouiller sa maîtresse avec sa sœur et son beau-frère ! Sur ce point aussi, il a levé tout obstacle. Désormais, Mme Cuchet refusera de recevoir des parents qui ont voulu l’égarer sur l’être admirable qu’est son « fiancé ». Elle ne répondra même plus à leurs lettres. La voie est libre.
Il ne reste plus à Landru qu’à passer à l’action.
Vers la fin de l’année 1914, il va louer à Vernouillet, 47, rue de Mantes, la villa The Lodge. Au mois de décembre, devenu sans le moindre complexe M. Cuchet, il s’y installe en compagnie de Jeanne et de son fils André que son « beau-père » a incité à quitter sa chemiserie. Tous les meubles qui, rue du faubourg Saint-Denis, garnissaient l’appartement de Jeanne, ont été transportés dans la maison de Vernouillet. Le trio vit désormais dans l’apparence du bonheur le plus parfait.
Landru a recommandé à Jeanne et à André de ne nouer aucun rapport avec les voisins. Ils ont obéi. Il a quant à lui confié à la directrice de l’agence de location que « sa femme, première dans une grande maison de couture, doit prochainement se rendre en Amérique pour le compte de l’entreprise qui l’emploie ». Un jour, dans l’enceinte de la cour d’assises, le témoignage de la directrice de l’agence pèsera lourd. Ce qui est sûr – les lettres que Jeanne et André adressent à des amis le prouvent – c’est que la mère et le fils, eux, n’ont jamais entendu parler de ce voyage en Amérique. Ce qui est non moins sûr, c’est qu’à partir d’une date qu’il est impossible de fixer avec précision, nul ne reverra Jeanne Cuchet ni son fils.
Pressé de questions par le juge d’instruction sur les motifs qui avaient conduit Mme Cuchet à le quitter, Landru s’enveloppera de dignité, et se refusera à révéler ces raisons sans l’autorisation de l’intéressée :
— Il s’agit d’une question de vie privée, monsieur le Juge. De vie privée !
Peut-être, mais on constatera que, dès le 20 avril 1915, Landru négocie, chez un remisier de la capitale, un titre ayant appartenu à André Cuchet. Il présente les papiers d’identité de celui-ci et encaisse 145 francs. Dans les semaines qui suivent, il touche différentes sommes revenant à Mme Cuchet et à son fils. Le 1 er mai 1915 – toujours bon mari – il offre à sa femme la montre en or de Mme Cuchet. Comme son fils Maurice va être mobilisé, il lui remet une montre, un sautoir, une bourse, une bague, une glace, une paire de boucles d’oreilles, le tout provenant de Mme Cuchet. Quant au mobilier de la pauvre femme, la police le retrouvera tout entier,
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