C'était le XXe siècle T.1

d’attraits aux yeux de tant d’Italiens. Il a été élevé dans son culte. À seize ans, il est apprenti boulanger à Gênes. Il lit des livres sur l’anarchie, il fréquente des anarchistes. Il assiste à des conférences libertaires. Du coup, il perd son emploi. On connaît ses opinions, on les redoute. Pas de travail pour un anarchiste. Il s’embarque alors pour l’Amérique, pays de la liberté. Là, il exercera tous les métiers : docker, garçon de bureau, garçon de café, vendeur de journaux, bûcheron, camelot, ouvrier d’usine. Le plus souvent, c’est la misère. Au fond de son cœur brûle toujours la foi anarchiste. Une foi de militant.
    Sacco, lui, a vingt-neuf ans. Il est né dans les Pouilles et, comme Vanzetti, la misère l’a conduit en Amérique. Il a appris un métier, est devenu cordonnier. Il a épousé la très jolie Rosina. Lui aussi est anarchiste. Pourtant sa vie privée apparaît fort différente de celle de Vanzetti, bohème par définition. Sacco est un ouvrier professionnel qualifié. Dans son métier, la chaussure, il a toujours du travail. Il gagne bien sa vie, veille à être bien lavé, rasé de frais, bien habillé : ce qui détonne parmi les anarchistes, mais les frères savent qu’ils peuvent toujours compter sur Nicola Sacco. S’il met de l’argent de côté, il en aura toujours pour eux.
    En 1917, Sacco rencontre Vanzetti. Naissance d’une amitié. C’est le moment de la conscription. Ces anarchistes ne veulent pas faire la guerre, ils s’enfuient au Mexique. Quand on leur explique qu’en qualité d’étrangers ils ne seront pas appelés, ils reviennent. En octobre 1917, Sacco s’engage chez Rice and Hutchins, une usine de South Braintree. De ce détail il faudra se souvenir. Il y travaille quelque temps, puis se fait engager ailleurs. Il est père d’un enfant, sa femme en attend un autre. Ils habitent un petit bungalow.
    Vanzetti a suivi un autre chemin. Après tant d’années, il ne peut plus supporter l’usine et sa discipline quotidienne. Il s’est fait marchand de poisson ambulant. Chaque semaine, il va acheter du poisson à Boston et le vend à Plymouth, surtout dans le quartier italien. Ce qui ne l’empêche pas, avec Sacco, de continuer à militer pour l’anarchie. Les deux Italiens organisent des meetings, distribuent des tracts, vendent des journaux. À cette époque, il y faut un certain courage.
     
    Le 2 juin 1919, une bombe a explosé devant la maison de l’avocat général Palmer, à Washington. La façade a été entièrement détruite. L’avocat général, qui allait se mettre au lit, s’est retrouvé en chemise, en plein air, au milieu des détritus. Les vitres des maisons voisines ont volé en éclats, y compris celles du sous-secrétaire d’État à la Marine, Franklin D. Roosevelt.
    En explosant, la bombe a tué celui qui la portait. Son cadavre a été horriblement déchiqueté, des débris ont volé dans tout le quartier, dont une jambe chez les Roosevelt. Une cinquantaine de tracts, titrés Paroles claires et répandus par terre, appelaient à la guerre des classes : « Ces institutions tyranniques s’effondreront dans le sang. Nous les détruirons pour en délivrer le monde. Vive la révolution sociale ! À bas la tyrannie ! » C’était signé « Les combattants anarchistes ». Cette même nuit, des bombes ont éclaté dans huit villes des États-Unis, l’une devant la maison du juge Nott à New York, tuant un veilleur de nuit. Ces attentats marquent le début de la grande vague anarchiste. Jusqu’ici, ces anarchistes ne représentaient qu’une infime minorité. S’ils sont passés à l’action, c’est qu’ils se savent désormais soutenus par une opinion beaucoup plus large.
    En 1919, les États-Unis traversent une terrible crise. Les soldats mobilisés viennent d’être rendus à la vie civile. Ils n’ont reçu qu’une prime dérisoire. Beaucoup ne retrouvent plus leur emploi. On compte trois millions de chômeurs. Les prix se sont élevés vertigineusement, cependant que les salaires piétinent. De grandes grèves ont éclaté : celles de l’acier, des chemins de fer, des charbonnages, du textile, du téléphone, des acteurs et même de la police de Boston. On regarde de l’autre côté du monde, où la révolution bolchevique vient de triompher. À travers tous les États-Unis s’affirme l’existence d’un puissant mouvement syndicaliste et d’opposition de gauche. Au moment précis où naît