C'était le XXe siècle T.1

première nuit qui sera suivie par des centaines et des centaines d’autres.
     
    Le lendemain, jeudi 6 mai, le procureur du district pour les comtés de Norfolk et de Plymouth, Frederick Katzmann, accompagné d’un sténographe et d’un interprète, se présente au poste de police de Brockton. Il approche de la cinquantaine, c’est un homme « lourd, ambitieux, toujours habillé avec la dernière élégance  (30)  ». Katzmann procède à l’interrogatoire de Sacco et de Vanzetti. Sacco déclare n’avoir jamais rencontré Boda. Il énumère les fabriques de chaussures dans lesquelles il a travaillé, mais il ne parle pas de South Braintree. Son revolver, il dit l’avoir acheté deux ans auparavant. Vanzetti déclare qu’il a acquis son arme quatre ou cinq ans plus tôt. On demande à Sacco ce qu’il a fait le 15 avril. Il répond qu’il a travaillé comme à l’ordinaire à son usine. Or Katzmann sait déjà que c’est faux. L’usine a déclaré que, le 15 avril, Sacco avait été absent de son travail. Vanzetti déclare ne pas se souvenir de ce qu’il a fait le 15 avril. Quand Katzmann quitte le poste de police, il est convaincu que Sacco est impliqué dans l’attentat de South Braintree. Pour Vanzetti, il hésite. On inculpe les deux hommes de port d’arme prohibé. Une excellente manière de les garder sous clé.
    L’après-midi, on amène au poste de Brockton plusieurs douzaines de témoins. Ils viennent de South Braintree et de Bridgewater. On leur présente Sacco et Vanzetti. Un certain nombre ne reconnaissent ni l’un ni l’autre. Seul, parmi les gens de South Braintree, le garde-barrière Levangie reconnaît en Vanzetti le conducteur de la voiture en fuite. Une femme croit avoir vu Sacco dans la voiture mais elle n’est pas en mesure de l’affirmer positivement. Deux autres femmes examinent les suspects. Elles déclarent qu’elles n’ont jamais vu Vanzetti, mais que Sacco pourrait être l’homme qu’elles ont vu penché à la portière de la voiture, en train de tirer. L’une de ces femmes s’appelle Mary Splaine, celle qui, sur photos, a déjà formellement reconnu Palmesano – lequel était à la prison de Buffalo.
    Quant à l’attentat de Bridgewater, le constable Bowles, qui avait déclaré que l’agresseur armé portait une moustache courte et avait estimé qu’il s’agissait d’un Polonais, reconnaît du premier coup Vanzetti, Italien à l’épaisse moustache tombante. Alfred Cox, le chef caissier qui se trouvait dans le camion, ne reconnaît pas Vanzetti.
    Il est hors de doute que la police a commis ce jour-là une très grosse faute. On s’est borné à montrer aux témoins Sacco et Vanzetti. Seuls. La règle, dans une telle situation, c’est de mêler les suspects à d’autres et de demander aux témoins de désigner ceux qu’ils reconnaissent éventuellement au milieu d’un groupe. En n’exhibant que les suspects, on a couru le risque que des témoins impressionnables aillent d’eux-mêmes au-devant de la déposition souhaitée.
    D’après le registre des véhicules à moteur, la moto – dont Johnson avait relevé le numéro – appartenait à Ricardo Orciani, mouleur dans une fonderie de Norwood. Dans la nuit du 6 mai, on l’a appréhendé et emmené à Brockton. Il portait le veston à carreaux de la veille au soir. Ruth et Simon Johnson l’ont identifié aussitôt : c’était bien le conducteur de la motocyclette. Là, maintenant, au poste de Brockton, on le montre lui aussi aux témoins. Trois personnes de South Braintree le reconnaissent comme étant l’un des tireurs. Un témoin de Bridgewater, Frank Harding, le reconnaît comme l’un des bandits du 24 décembre. Ces témoins ont tort. Orciani pourra prouver que le jour des deux attentats, il n’avait pas quitté son travail. Il sera libéré. Alors, la valeur de ces témoignages ?
    Et Boda ? Il se cache toujours. Il parviendra à s’enfuir en Italie. Jamais on ne pourra recueillir son témoignage sur l’affaire. D’ailleurs, Stewart ne s’occupe plus de Boda. La déclaration de Harding, qui a reconnu Vanzetti, a suffi à le convaincre. Le 11 mai, il dépose une plainte devant le tribunal de police de Brockton, accusant Vanzetti « porteur d’une arme dangereuse, d’avoir attaqué Alfred-E. Cox avec l’intention de le voler ».
     
    Le 22 juin 1920, le juge Thayer vient prendre place à son siège du tribunal de Plymouth. Webster Thayer a soixante-trois ans. Il est petit et