C'était le XXe siècle T.1
elle a proposé d’elle-même le divorce à son mari. C’était en 1910, année d’élections. Caillaux a préféré laisser passer l’époque du vote. La Belle Époque marquait l’apogée des conventions bourgeoises. Conjuguer une procédure de divorce et une campagne électorale était dangereux. Une fois élu, Caillaux a entamé lui-même le procès. Le divorce a été prononcé à ses torts. Il a dû verser 200 000 francs de capital et 18 000 francs par an de pension alimentaire à celle qui était devenue Mme Gueydan. Sans tarder, Caillaux a épousé Henriette Rainouard, devenue la seconde Mme Caillaux.
Épouse d’un président du Conseil, Henriette a assisté à la chute du cabinet présidé par son mari, à la constitution du ministère Poincaré, à l’élection, en janvier 1913, du même Poincaré à la présidence de la République, à un ministère Briand, à un ministère Barthou que Caillaux allait mettre en minorité sur la question fiscale. La règle du jeu eût été que Poincaré confiât le gouvernement à Caillaux. Mais le député de Mamers, partisan farouche de l’impôt sur le revenu, adversaire du service militaire de trois ans, effrayait les modérés. Le 9 décembre 1913, Poincaré a appelé au ministère Gaston Doumergue – futur président de la République – qui a confié les Finances à Caillaux.
Ce temps-là était celui de la menace allemande. Avec inquiétude, l’Europe voyait l’Allemagne augmenter ses effectifs militaires. Le roi des Belges, Albert I er , adressait au gouvernement français un avertissement discret : le kaiser Guillaume II voulait la guerre. Pourrait-on l’éviter ? Fallait-il l’éviter à tout prix ? L’interrogation angoissante planait en toile de fond sur la politique française. Pas davantage. Ce qui dominait, au début de 1914, c’était la perspective des élections, le gouffre creusé chaque jour davantage entre la droite et la gauche. Pour le centre droit et pour la droite, l’homme à abattre, c’était Caillaux. Chacun savait qu’il incarnait le danger le plus évident. De l’autre côté, on a décidé de créer une Fédération des gauches qui ne rassemblait guère que des modérés. Ses moteurs n’étaient autres qu’Aristide Briand et Louis Barthou. Deux ennemis déclarés de Caillaux. Briand, en particulier, en voulait beaucoup à Caillaux qui l’avait traité d’ endormeur . Briand, lui, avait dénoncé Caillaux comme un ploutocrate démagogue .
La volonté d’abattre Caillaux a redoublé quand le ministre des Finances a annoncé son intention d’équilibrer le budget de 1914 à l’aide d’un impôt progressif sur le capital. Un tollé ! Non seulement ce Caillaux était l’homme de l’impôt sur le revenu, dont il essayait d’arracher le vote au Sénat, mais il préconise maintenant l’impôt sur le capital ! L’abattre. L’abattre absolument.
Oui, mais comment ?
La décision a été prise par Briand et Barthou, cependant que, dans la coulisse, le nouveau président de la République, Raymond Poincaré – autre ennemi déterminé de Caillaux – approuvait. Ce qu’il fallait, c’est attaquer Caillaux, l’attaquer sans cesse. Produire contre lui des documents qui l’accableraient. Le déconsidérer. Le déshonorer. Le perdre, et avec lui la cause qu’il représentait. Pour cela, il fallait trouver un journal. On le trouva, ce fut le Figaro .
Le tirage du Figaro n’est pas comparable à celui du Petit Parisien , par exemple, qui, avec 1 600 000 exemplaires, peut à bon droit se réclamer du plus fort tirage du monde entier. Mais son influence est grande, car ceux qui le lisent appartiennent à la grande et la moyenne bourgeoisie.
Qui s’est chargé d’approcher Gaston Calmette, directeur du Figaro ? Probablement Louis Barthou. En 1914, Calmette a cinquante-cinq ans. Le visage un peu rond, le ventre également rond sous le gilet, une épaisse moustache, des lorgnons, il est entré au Figaro à l’âge de vingt-sept ans, est devenu le gendre du directeur – bonne façon de faire carrière – et un jour, en 1902, a succédé à son beau-père. Un homme courtois, doux, un peu timide. Le contraire d’un polémiste. Pourtant, cet homme discret va conduire en personne l’attaque contre Caillaux.
Il semble qu’à l’origine de cette position se situe la chute du cabinet Barthou, dont Calmette était l’ami chaleureux, dévoué, inconditionnel. Raymond Recouly en a témoigné.
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