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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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Marseille Frayssinet qui annonce que, le mardi 17, il présentera sur l’affaire Rochette une motion appuyée par quarante signatures. Mardi ? C’est dans trois jours. D’ici là, Caillaux escompte bien avoir exhumé lui-même le document Fabre et pulvérisé ces accusations.
    En quittant la Chambre, il se rue chez Bienvenu-Martin, le garde des Sceaux, vieillard tout effaré par cette intrusion. Caillaux invite son collègue à retrouver le document Fabre.
    Le lendemain matin, il faut se rendre à l’évidence : le document Fabre a disparu des archives du ministère de la Justice. Caillaux somme Bienvenu-Martin, qui vacille derrière ses lorgnons, de demander des explications à Fabre lui-même. Puis il vole chez Poincaré, à l’Élysée :
    — Briand et Barthou ont pu seuls soustraire le document aux archives du ministère !
    — Je les verrai lundi, assure Poincaré.
    Le fidèle lieutenant de Caillaux, Ceccaldi, glisse à son patron :
    — Briand jure qu’il a remis la pièce à Barthou.
    À 17 heures, le procureur Fabre est chez Bienvenu-Martin. Il explique qu’il n’a gardé qu’un seul exemplaire, l’autre ayant été remis à Briand. On va assister à un savoureux ballet, le garde des Sceaux laissant partir Fabre sans rien lui demander, puis lui téléphonant chez lui pour lui réclamer son propre exemplaire, Fabre acceptant, puis se ravisant et retéléphonant pour refuser.
    Au moment où Bienvenu-Martin doit avouer sa défaite, Caillaux apprend que Calmette publiera mardi le document Fabre. Fou de rage, il hurle à l’adresse d’Henriette :
    — Tu entends, mardi !
    Elle entend, oui, mais ne pense qu’aux lettres. À ses lettres . À celles que l’autre va donner en pâture au public. Et ces mots, ces phrases, ou il est question d’instants enivrants, de baisers, de « ton corps tenu entre mes bras », ces phrases seront connues de tous et c’en sera fait d’elle-même, Henriette Caillaux. Son honneur sera mort. Car l’honneur, à la Belle Époque, ne s’attache pas tant aux actes que l’on commet qu’à ce que l’opinion peut en connaître. De son premier mariage, Henriette a une fille. Celle-ci va-t-elle découvrir qu’une liaison a précédé le mariage de sa mère avec Joseph Caillaux ? Cette seule idée, Riri ne peut la supporter.
     
    Le dimanche 15, Caillaux part pour la Sarthe. Il préside une réunion publique. Il faut bien préparer les élections qui approchent ! Dans sa circonscription, on le regarde de près et on est sûr qu’il n’a pas peur. On a raison.
    Henriette, restée à Paris, a rendu deux visites. À ses amies, elle a paru calme.
    Dans le Figaro du lundi 16, rien d’important, des broutilles. On publie d’anciennes notes biographiques dans lesquelles Caillaux s’affirmait modéré. Cela s’appelle : « Intermède comique ». Pour Henriette, cela signifie que Calmette se repose avant d’oser un grand coup. C’est bien ce que cela veut dire, non, intermède ?
    Derechef, Caillaux s’est précipité chez Poincaré :
    — Calmette a entre les mains des lettres intimes !
    — Je ne puis le croire…
    — Je le tuerai !
    Poincaré offre d’envoyer M e Maurice Bernard, un ami commun, à Calmette.
    — Et je suis sûr que…
    En fait, il s’agit là d’une manœuvre très habile de Caillaux. Il espère que Poincaré, prenant peur, va faire demander à Calmette de ne publier ni les lettres intimes ni le rapport Fabre.
    À la même heure, Mme Caillaux reçoit M. Monnier, ami du ménage, président du tribunal civil de la Seine. Elle a souhaité le consulter sur les possibilités juridiques qui s’offrent d’arrêter la campagne. M. Monnier hoche la tête. Hélas ! il n’existe aucun moyen. Si Calmette commet une diffamation caractérisée, on pourra le poursuivre. Impossible de prendre les devants.
    Ainsi, les honnêtes gens ne sont pas protégés ? Hors d’elle, Henriette fait appeler sa voiture, court aux Finances, entre dans le cabinet de Caillaux, pourfend Calmette avec fureur. Elle est à bout de nerfs. Elle parle, elle parle… Le chef de cabinet, Labeyrie, écoute cela avec inquiétude.
    Poincaré, lui, reçoit Barthou et Briand. Du conciliabule, rien ne perce.
    Henriette est rentrée chez elle. Il semble que la visite de M. Monnier ait cristallisé sa hantise. Il ne faut pas, il ne faut pas !
    À midi, Caillaux rentre déjeuner. Ils sont là, à table, tous les deux. On apporte des côtelettes. Elles sont brûlées.

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