C'était le XXe siècle T.1
Espère vous suivre. » C’est signé : Latham.
À 5 h 30, l’ Escopette a fait son entrée dans le port. Une vedette britannique accoste le torpilleur. Un officier monte à bord, salue Alice dont les lèvres tremblent.
— Je vous présente mes félicitations, madame.
Alors, elle pleure.
Par le télégraphe, la nouvelle court le monde. Les journaux l’annoncent sur huit colonnes. Dans l’atelier du boulevard Victor-Hugo, à Neuilly, l’équipe attendait, nerveuse, anxieuse. Un petit télégraphiste a sonné. On s’est rué sur l’enveloppe bleue. Peyret l’a ouverte.
— Il a réussi !
— Hurrah ! hurle P’tit Louis.
Les casquettes volent en l’air. Les mécanos vocifèrent en improvisant une danse de Papous. Au premier instant de calme, Grandseigne intervient :
— Faut le féliciter.
Peyret, sérieux, suggère :
— On offrira des fleurs à Mme Blériot.
Collin et Mamet, à cette heure, voguent vers Douvres, à bord d’un vieux bateau à roues, le Pas-de-Calais . Sur la jetée, un homme est là, vêtu de toile bleue, qui lève les bras au ciel : Blériot. « Il rayonnait littéralement, dira Collin. C’est la seule fois où je l’ai vu extérioriser des sentiments intimes et humains : enfin nous avions donc un patron qui riait. »
À peine débarqués, les deux mécaniciens courent vers Blériot. Éperdu, il les serre dans ses bras. « Il nous embrassa de façon déréglée et tumultueuse, l’un après l’autre, Mamet et moi. Il y mettait une fougue et une sincérité que je n’avais jamais éprouvées, ni soupçonnées. Pendant quelques instants, nous fumes bouleversés et nous communiâmes dans une vibrante étreinte ! Trinité très émue et idéalement satisfaite…»
Le soir même, Blériot partira pour Londres où les journaux titrent : L’Angleterre n’est plus une île. Londres où le romancier H. G. Wells, interviewé, vitupère cette race d’Anglais retardataires qui consacrent leurs loisirs au cricket, quand les jeunes Français volent à la conquête de l’air. Londres qui acclame Blériot, comme jamais peut-être elle n’acclama un étranger. Londres où l’aviateur reçoit les 25 000 francs du Daily Mail et une coupe en argent ciselé.
Mais rien ne peut être comparé à l’ovation de Paris. La capitale – tout entière – s’est portée à la gare du Nord : une marée de canotiers. Un climat de victoire nationale.
— Le voilà !
Il s’avance, très pâle, appuyé sur ses béquilles, entre une Alice rayonnante et un Charles Fontaine qui brandit le drapeau de Douvres. Vers le ciel monte un cri gigantesque. Happé, arraché du sol, le héros est porté en triomphe jusque sur les grands boulevards.
Le soir, épuisé, heureux, Blériot trouvera boulevard Maillot le salon plein d’hommes vêtus de noir, le sourire aux dents, mais le front sérieux : des acheteurs. Les frères Borel, revendeurs d’automobiles, commandent à eux seuls six machines. Puis un officiel :
— Monsieur Blériot, j’ai voulu vous annoncer ce soir la bonne nouvelle : l’État passe commande de cent appareils type XI.
L’industrie aéronautique est née. Le jour de la traversée de la Manche, l’épopée des cages à poules s’est achevée.
Dix-huit ans plus tard, au Bourget, le Spirit of Saint-Louis déposera sur le sol français le premier homme ayant traversé l’Atlantique. Le maréchal Foch demandera au jeune Lindbergh s’il est un Français qu’il désire particulièrement rencontrer.
Et Lindbergh répondra simplement :
— Louis Blériot.
III
L’honneur
de Madame Caillaux
16 mars 1914
Dans le vaste cabinet de travail de Gaston Calmette, directeur du Figaro , il fait sombre. Le 16 mars 1914, à 6 heures du soir, Gaston Calmette vient d’allumer les deux lampes qui éclairent – assez mal – une table de travail encombrée de papiers.
Il est là, Calmette, debout près du bureau, et regarde d’un air étonné la femme devant lui.
— Vous savez pourquoi je viens, dit cette femme.
Précisément, non, Gaston Calmette ne le sait pas. Grande a été sa stupeur, à son retour au journal quelques instants plus tôt, quand l’huissier lui a remis une enveloppe dans laquelle il a trouvé une carte de visite : Madame Joseph Cailloux . Une telle démarche, d’une telle femme ? Pourquoi ? Est-ce pour le savoir qu’il l’a fait introduire ? En tout cas, elle est devant lui. Et elle a dit :
— Vous savez pourquoi je
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