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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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et les mineurs victorieux reprennent le travail. Solages, qui est député, démissionne en signe de protestation contre un État qui ne l’a pas soutenu. Qui va-t-on présenter ? Quelqu’un propose le nom du professeur Jaurès qui écrit dans la Dépêche de Toulouse de si beaux articles. Réponse des mineurs :
    — Mais nous voulons un socialiste ! Jaurès est un bourgeois.
    On décide de demander conseil aux augures toulousains du parti. Ils répondent que Jaurès, sans être encore des leurs, mérite un brevet de socialisme.
    De fait, Jaurès accepte de soutenir le programme du parti ouvrier rédigé et acclamé au congrès de Marseille. Il est élu  (8) .
     
    Dès 1893, il est chef du parti socialiste. Il va fonder l’Humanité , organe du mouvement. Sans cesse, il est sur la brèche, il parle, il écrit. Il tient à travers la France d’innombrables réunions. Il attire des foules gigantesques. Jamais il n’accède au pouvoir, même quand, malgré d’ardentes polémiques, d’autres socialistes acceptent des portefeuilles. Il les couvre, mais ne les suit pas. Il se bat pour l’unité du mouvement ouvrier français et européen. Après avoir cru à la culpabilité de Dreyfus et s’être montré pour lui particulièrement sévère, il se ravise aussitôt qu’on lui apporte la preuve qu’il s’est trompé et dès lors se bat pour le prisonnier de l’île du Diable. Cette grande voix exerce sur le Parlement, sur la vie politique française, une immense autorité.
    Pour l’extrême droite, il est devenu l’homme à abattre. On refuse de voir ce qu’il y a de générosité dans son action, de tolérance dans ses attaques. Le grand, l’éternel combat de Jaurès, il le livre pour la paix, toujours. Souvent, dans ses discours, il dépeint, en véritable visionnaire, les champs de bataille couverts de morts et de blessés : ceux de la guerre moderne. Il ne peut tolérer l’image des hommes qui vont mourir et d’autant plus s’il s’agit de Français. Cet internationaliste aime passionnément son pays. Il a dit : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie. Beaucoup d’internationalisme ramène à la patrie. » Nul parmi ceux qui l’ont entendu parler de la paix au congrès de Bâle de 1912 ne l’oubliera. La cathédrale a été mise à la disposition des congressistes par les autorités religieuses. Les cloches sonnent à la volée. Au milieu des drapeaux rouges arborés dans la nef, Jaurès est monté en chaire. Et il a parlé. Il évoquait l’inscription gravée sur les cloches. Il appelait les vivants, pleurait sur les morts, criait qu’il voulait briser « les foudres de la guerre qui menacent dans les nuées » :
    — Oui, j’ai entendu cette parole d’espérance. Mais cela ne suffit pas pour empêcher la guerre. Il faudra toute l’action concordante du prolétariat mondial !
    Tel est l’espoir de Jaurès. Il existe maintenant, partout en Europe, des partis socialistes puissants : en Allemagne, en Russie, en Italie. Tous jurent que, si la guerre venait à menacer, ils l’empêcheraient en déclenchant la grève générale. Ainsi la guerre deviendrait-elle impossible. De toutes les forces de son âme, Jaurès veut le croire.
    Il se réclame des grands souvenirs de la Révolution française dont il a écrit l’histoire. Il se déclare contre toute guerre offensive. Il proclame, au cas où notre pays serait attaqué, la nécessité de se défendre en décrétant la patrie en danger. Son idéal est la nation en armes. C’est pour cette raison, en 1913, qu’il s’est opposé à la loi des trois ans. Il sait que l’entraînement d’un soldat est achevé en six mois. Alors pourquoi vouloir garder ces jeunes hommes trois années dans les casernes ? Est-ce pour imiter l’Allemagne ? Le mieux, s’écrie-t-il, est d’entraîner les réservistes, de les entraîner sans cesse, de constituer, comme en Suisse, une milice populaire, toujours sur le pied de guerre.
    Jamais autant qu’à cette occasion Jaurès n’a été attaqué, insulté, littéralement couvert de boue. On a proféré contre lui des injures inouïes, la moindre étant de le dénommer : Herr Jaurès . À tout propos, on a juré qu’il était vendu à l’Allemagne. Or, en ce temps-là, il siège à la commission de l’Armée. Le général Messimy a témoigné de l’intérêt passionné du député Jaurès pour notre défense, de ses adjurations répétées pour que l’on renforçât nos

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