C'était le XXe siècle T.1
une liste d’union républicaine. Il accepte. Il est élu.
Quand il vient siéger à la Chambre, il a vingt-six ans, ce qui fait de lui le plus jeune député de France. Au centre gauche où il va prendre place, il rencontre son grand homme : Jules Ferry. Il l’aborde en tremblant. Comme il voudrait savoir quels sont ses buts, son idéal, la finalité de son combat ! Il ose l’interroger. Ferry ne répond pas. Jaurès insiste :
— Mais enfin, il y a bien une philosophie dans votre action !
Alors, Ferry, d’un ton bourru :
— Mon but, c’est d’organiser l’humanité sans dieu et sans roi.
Il l’admire toujours, mais il est déçu. La jeunesse de Jaurès s’est passée au milieu du peuple. Il n’est pas question du peuple dans le concept de Jules Ferry. Les problèmes de classes, que Jaurès commence à discerner, laissent totalement indifférents Jules Ferry et les députés du groupe auquel Jaurès s’est inscrit. C’est bien simple, la Chambre veut ignorer qu’il existe une question sociale.
Jaurès, à cette époque, est un homme qui se cherche : « Quand je suis entré dans la politique, en 1885, je ne connaissais que deux choses : la République d’un côté, la réaction monarchique et cléricale de l’autre. Le dirai-je ? Je ne connaissais même pas de nom les diverses organisations socialistes qui luttaient contre la République bourgeoise. »
À la Chambre, il y a bien un petit groupe de députés socialistes qui siègent à l’extrême gauche. Il les observe sans bien les comprendre. En France, ils sont bien peu nombreux, les socialistes, et divisés en plusieurs groupuscules parmi lesquels on se perd. Ce qui va le rapprocher d’eux, c’est cette paix pour laquelle ils militent et pour laquelle Jaurès ressent une passion incoercible. Un jour, au lycée d’Albi, chargé du discours de la distribution des prix, il parle de la paix par la fraternisation des citoyens et par la fraternité des peuples. À la Chambre, en revanche, il ne prend que rarement la parole. Un discours sur l’instruction publique attirera l’attention sur lui. Beau thème pour un Jaurès : il faut éduquer le peuple, il le dit, il le dit bien. Quand il quitte la tribune, il est applaudi par la gauche mais bien des murmures admiratifs s’élèvent sur les bancs de droite.
On est revenu au scrutin d’arrondissement et Jaurès ne sera pas réélu. Au cours de la campagne électorale, il a accentué son glissement vers la gauche. Il a attaqué ces rentiers, ces industriels, ces négociants qui précisément l’avaient élu en 1885. Qu’ils n’aient pas voté cette fois pour lui nous apparaît logique. Il ne se décourage pas. En juillet 1890, c’est aux élections municipales de Toulouse qu’il se présente. Ce qu’il réclame hautement, c’est l’efficacité dans le combat social : il demande aux radicaux de se rapprocher des socialistes, ceci « afin de former un grand parti d’action socialiste capable de mener à bien toutes les réformes ». Pourtant, il critique encore les socialistes, jugeant qu’ils ont tort de se tenir, par système, à l’écart de la vie publique. Il écrit « nous, socialistes », mais il se garde bien d’adhérer au parti. Il s’y refusera pendant un an encore.
Ce qui pour lui sera déterminant, c’est sa rencontre à Toulouse avec Jules Guesde, à la fois maître à penser et prophète de l’idée socialiste. Toute une nuit, les deux hommes discutent. D’évidence Jaurès apparaît de plus en plus tenté. Mais il ne se décide toujours pas à franchir le Rubicon. Il soutient à la fois une thèse latine sur « Les origines du socialisme allemand » et une thèse de philosophie intitulée : « De la réalité du monde sensible ». Double succès. Quand on le lit, on découvre que la réalité pour lui n’exclut pas Dieu. Un Dieu qui n’est pas celui des chrétiens mais présente l’image d’une perfection. En 1906, Jaurès dira encore :
— Je ne suis pas de ceux que le mot Dieu effraie.
La grève de Carmaux va emporter cette décision que les objurgations de Guesde n’avaient pu arracher. Les mineurs sont en grève depuis deux mois et demi. L’un des leurs a été élu maire de la petite cité et l’administration de la mine, qui appartient au marquis de Solages, se refuse obstinément à lui accorder du temps pour exercer son mandat. Devant le manque à gagner qui de jour en jour s’alourdit, le marquis de Solages cède
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