C'était le XXe siècle T.1
chante la Marseillaise . À Berlin, on défile en criant : Nach Paris ! L’Angleterre propose une médiation internationale. Retiendra-t-on le monde sur le bord du précipice ?
Le 29 – jour de l’arrivée à Paris de Poincaré – Léon Blum croise Jaurès, sa valise à la main. Un poème, cette valise. Il y entasse généralement un peu de linge, des livres et, pour parer à une petite faim, un morceau de fromage. Souvent, cette valise mal fermée s’ouvre sur le quai de la gare et les employés, mi-attendris, mi-goguenards, aident M. Jaurès à rassembler ses trésors. À Léon Blum, Jaurès déclare :
— Je pars pour Bruxelles.
C’est à Bruxelles que va se tenir la réunion du Bureau socialiste international. Toute l’Europe socialiste s’est rendue dans la capitale belge : c’est le dernier espoir de Jaurès. Il parle au Cirque royal devant dix mille personnes. De longues acclamations le saluent : « Vive Jaurès ! », « Vive la République ! ». Il évoque le souvenir de la grande révolution, parle d’espoir plutôt que d’inquiétude.
— Nous ne sommes pas ici cependant pour nous abandonner à ces émotions mais pour mettre en commun, contre le monstrueux péril, toutes nos forces de volonté et de raison !
Il dénonce les diplomaties secrètes, dénie à quelques hommes le droit de disposer du destin et du sang de millions d’autres :
— On négocie ; il paraît qu’on se contentera de prendre à la Serbie un peu de son sang, et non un peu de chair ; nous avons donc un peu de répit pour assurer la paix. Mais à quelle épreuve soumet-on l’Europe ! À quelles épreuves les maîtres soumettent-ils les nerfs, la conscience et la raison des hommes ! Quand vingt siècles de christianisme ont passé sur les peuples, quand depuis cent ans ont triomphé les principes des Droits de l’homme, est-il possible que des millions d’hommes puissent, sans savoir pourquoi, sans que les dirigeants le sachent, s’entre-déchirer sans se haïr ? Il me semble, lorsque je vois passer dans nos cités des couples heureux, il me semble voir à côté de l’homme dont le cœur bat, à côté de la femme animée d’un grand amour maternel, la Mort marcher, prête à devenir visible ! (Longs applaudissements.)
Il en vient au devoir des socialistes et des prolétaires :
— Nous, socialistes français, notre devoir est simple. Nous n’avons pas à imposer à notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique. Moi qui n’ai jamais hésité à assumer sur ma tête la haine de nos chauvins, par ma volonté obstinée et qui ne faillira jamais, de rapprochement franco-allemand (acclamations) , moi qui ai conquis le droit, en dénonçant ses fautes, de porter témoignage à mon pays, j’ai le droit de dire devant le monde que le gouvernement français veut la paix et travaille au maintien de la paix. ( Ovation. Cris : Vive la France !)
On l’acclame plus encore lorsqu’il s’écrie :
— Pour les maîtres absolus, le terrain est miné. Si dans l’entraînement mécanique et dans l’ivresse des premiers combats, ils réussissent à entraîner les masses, à mesure que les horreurs de la guerre se développeraient, à mesure que le typhus achèverait l’œuvre des obus, à mesure que la mort et la misère frapperaient, les hommes dégrisés se tourneraient vers les dirigeants allemands, français, russes, italiens, et leur demanderaient : quelle raison nous donnez-vous de tous ces cadavres ? Et alors, la révolution déchaînée leur dirait : « Va-t-en, et demande pardon à Dieu et aux hommes ! » (Acclamations.) Mais si la crise se dissipe, si l’orage ne crève pas sur nous, alors j’espère que les peuples n’oublieront pas et qu’ils diront : il faut empêcher que le spectre ne sorte de son tombeau tous les six mois pour nous épouvanter. (Acclamations prolongées.)
Et il en vient à sa péroraison :
— Hommes humains de tous les pays, voilà l’œuvre de paix et de justice que nous devons accomplir ! Le prolétariat prend conscience de sa sublime mission. Et le 9 août, des millions et des millions de prolétaires, par l’organe de leurs délégués viendront affirmer à Paris l’universelle volonté de paix de tous les peuples !
Le lendemain matin, au cours d’une nouvelle réunion du B.S.I., on rédige un manifeste dans lequel on réitère l’affirmation que « les prolétaires allemands et français devront pratiquer sur leurs
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